HISTOIRE : LES TRACES MÉDICALES DANS LES MÉTAMORPHOSES D’APULÉE

De tous les auteurs africains de l’époque romaine d’expression latine, Apulée de Madaure est certainement le plus marquant. C’est un Berbère né au début de notre ère dans la ville de Madaure devenue aujourd’hui M’daourouch en Algérie. L’œuvre majeure d’Apulée, L’âne d’or (Asinus aureus) suscite des questionnements et des études encore aujourd’hui. Le titre initial Les métamorphoses a été remplacé par l’âne d’or par un autre Africain, qui est l’un des quatre pères de l’Église, Saint Augustin d’Hippone. Certains considèrent que c’est une œuvre initiatique renfermant des mystères, d’autres parlent même de livre de magie. Le livre en effet est truffé de contes, de récits empreints de moralités  que l’auteur qualifie de « genre milésien », style particulier qui doit son origine au fabuliste éthiopien Ésope. Cet Ésope sera par ailleurs l’inspirateur des fables de Jean de la Fontaine. Dès les premières lignes, référence est faite à la littérature de la vallée du Nil. L’origine africaine des contes ne fait pas de doute à la lecture des récits que le regard du monde noir éclaire d’un jour nouveau. Au livre 11ème et dernier, le dénouement de la trame de fond est à la gloire de la grande Déesse Isis. Cette déesse originelle, hypostatique de la Sainte Vierge Marie dit elle-même qu’elle est adorée en autant de cultes qu’il y a de peuples sur la terre. Mais, dit-elle, les peuples de l’Éthiopie, de l’antique et docte Égypte « seuls me rendent mon culte propre, et me donnent mon vrai nom de déesse Isis. ». L’initiation aux mystères du Grand Osiris y est citée également. On doit entre autres à cette œuvre le joli conte d’Amour (ou Cupidon) et Psyché qui a été repris dans plusieurs œuvres artistiques depuis le 16ème siècle (sculptures, peintures, vitraux, mosaïques, tapisseries…). Les métamorphoses d’Apulée de Madaure écrites au 2ème siècle de notre ère méritent d’être connues. Je recommande la traduction de ce lien. L’édition de poche Folio classique prend trop de libertés dans sa traduction. Il y a également la version audio gratuite ici.

Pour revenir au sujet de ce propos, dès les premières lignes, une allusion est faite au Dieu de la Médecine. A tout Seigneur, tout honneur donc. Devant un spectacle de contorsionniste, un enfant s’enroulant autour d’un épieu de chasse faisait croire à un caducée du Dieu de la Médecine. Dans un précédent article sur les racines africaines de la médecine, nous avions déjà évoqué la paternité du caducée du Dieu égyptien Djehouty, le Thot des Grecs et l’Hermès des Romains.

De la rage et de l’hydrophobie des animaux enragés : durant les péripéties de Lucius qu’une tentation magique a transformé en l’âne personnage principal de la trame de fond, un cas est rapporté. Il faut rappeler que cette hydrophobie (peur de tout liquide) est due à un spasme laryngé douloureux réflexe à la vue des liquides. Ce spasme est causé par l’atteinte nerveuse du virus de la rage. L’âne suspecté d’avoir été mordu par un chien enragé, n’a dû sa vie sauve qu’à l’expérience d’un homme qui proposa ce test simple. C’est de présenter un seau d’eau à la bête. Si elle boit, elle est indemne mais si au contraire la vue de l’eau provoquait un retrait, c’est un diagnostic positif de rage.

Au sujet de la goutte : Durant le récit de la belle histoire d’Amour et de Psyché, une de ses sœurs jalouses se comparant au sort de la belle Psyché évoque l’état de santé de son vieil époux de mari. Ce dernier est goutteux avec une déformation de ses articulations. C’est quoi la goutte ? Les anciens disaient que c’est la reine des maladies et la maladie des rois. En effet, c’est une maladie métabolique du corps humain. Elle est due à une accumulation de cristaux d’acide urique qui est un produit de dégradation des excès de charcuterie. Cela conduit à une inflammation des articulations avec des bosses crayeuses de cristaux d’acide urique disséminés autour des articulations. On les appelle des tophus goutteux.

De la psychopathologie : Le nom de l’héroïne Psyché n’est pas dû au hasard. Il s’agit de l’âme humaine « anthropon psukê » dont Hérodote d’Halicarnasse a déposé dans son œuvre Histoire Livre II que les autochtones de la Vallée du Nil furent les premiers à formuler le concept de son immortalité. Voici résumés dans un oracle rendu sur le sort de la belle Psyché, les ravages de l’Amour sur les mortels et même les immortels. Nous sommes ici dans la psychologie clinique pure.

« Qu’en ses plus beaux atours la vierge abandonnée

Attende sur un roc un funèbre hyménée

Son époux d’un mortel n’a pas reçu le jour

Il a la cruauté, les ailes du vautour

Il déchire les cœurs, et tout ce qui respire

Subit, en gémissant, son tyrannique empire

Les dieux, dans leur Olympe, ont tous porté ses fers

Et le Styx contre lui défend mal les enfers. »

NB : le Styx est un des fleuves du séjour des morts selon les Anciens.

Ceci nous conduit à ce cas qui pourrait s’apparenter à un coup de foudre rapporté dans un autre récit. Il s’agit d’une sordide histoire d’une femme éprise de passion désordonnée pour le fils de son mari. Y sont décrits tous les signes neurovégétatifs que manifeste un corps dont l’âme est troublée par l’amour dans sa tyrannie justement. On y reconnaît tour à tour la tachycardie, plutôt une tachyarythmie (battements rapides du cœur avec un pouls déréglé), des sueurs froides, des tremblements du corps et de la voix. Le diagnostic positif en fut établi et même le diagnostic étiologique : le principe, la cause du mal dira l’auteur. Quand la malade d’amour dit que la cause de son mal est en même temps le médecin qui peut l’en délivrer, c’est de l’homéopathie avant l’heure. Dans le récit de cette marâtre infidèle, on note un recours à une euthanasie, en tout cas comme prétexte invoqué pour se procurer un poison d’un effet instantané afin de « mettre fin aux souffrances d’un malade atteint d’une maladie incurable ». On y reconnaît l’existence de la pratique de l’euthanasie active dans le récit. Mais le médecin sollicité à ce propos ouvre déjà le débat sur l’euthanasie en ces termes : «… j’ai jugé d’un côté le service qu’il me demandait incompatible avec le devoir de ma profession, car la médecine est instituée pour sauver la vie et non pour la détruire… ». Durant le procès pour empoisonnement qui s’en est suivi, un des magistrats qui exerce la profession de médecin et à qui on a voulu acheter le poison a utilisé comme pièce à conviction l’empreinte laissée sur un sac par l’anneau de l’accusé. C’est de la médecine légale dirions-nous aujourd’hui. Le renversement de situation de toute cette affaire sera dû à une potion à base de mandragore en lieu et place du poison. Les effets narcotiques de cette plante sont connus depuis l’Égypte ancienne.

Nous avons essayé de ne pas en dire trop à chaque fois afin de vous laisser découvrir pleinement ce chef d’œuvre de la littérature de l’antiquité tardive africaine.

Bonne lecture.

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