ISIS, LA DÉESSE MÈRE NOURRICIÈRE ET LES CÉRÉALES – PRÉFIGURATION DE LA SAINTE VIERGE

Citation en exergue : « Les Égyptiens avancent aussi qu’Érechthée, ancien roi d’Athènes, était originaire d’Égypte, et ils en apportent les preuves suivantes : selon une croyance généralement accréditée, une grande sécheresse désola tout le continent, à l’exception de l’Égypte, qui en fut préservée par sa position naturelle ; cette sécheresse faisait périr les hommes et les fruits. Érechthée se souvenant de sa double origine fit alors transporter du blé de l’Égypte à Athènes, dont il fut nommé roi par la reconnaissance publique. Après avoir accepté la royauté, il institua à Éleusis les initiations et les mystères de Cérès, d’après les rites égyptiens. C’est à cette époque que la tradition place l’apparition de Cérès dans l’Attique et l’importation des céréales dans Athènes ; c’est ce qui a donné lieu à la croyance que Cérès fit connaître la première la culture de ces fruits. Les Athéniens affirment que l’apparition de Cérès et le don du blé arrivèrent sous le règne d’Érechthée, dans un temps où le manque de pluie avait fait périr tous les fruits. De plus, les initiations et les mystères de cette déesse furent alors établis à Éleusis, où les Athéniens observent les mêmes rites que les Égyptiens ; car les Eumolpides [prêtres de Déméter] dérivent des prêtres égyptiens, et les hérauts des Pastophores [porteurs de la statue d’Isis lors des processions]. Enfin, les Athéniens sont les seuls Grecs qui jurent par Isis, et qui, par leurs opinions et leurs mœurs, ressemblent le plus aux Égyptiens. »[1]Selon le dictionnaire étymologique de la langue française d’Émile Littré, Cérès est l’ancien nom de la Vierge.

  1. Introduction – Origine du culte divin

« On soutient que les Éthiopiens [les Noirs des Grecs Anciens]sont les premiers de tous les hommes, et que les preuves en sont évidentes. D’abord, tout le monde étant à peu près d’accord qu’ils ne sont pas venus de l’étranger, et qu’ils sont nés dans le pays même, on peut, à juste titre, les appeler Autochtones ; ensuite il paraît manifeste pour tous que les hommes qui habitent le Midi sont probablement sortis les premiers du sein de la terre. Car la chaleur du soleil séchant la terre humide et la rendant propre à la génération des animaux, il est vraisemblable que la région la plus voisine du soleil a été la première peuplée d’êtres vivants. On prétend aussi que les Éthiopiens ont les premiers enseigné aux hommes à vénérer les dieux, à leur offrir des sacrifices, à faire des pompes, des solennités sacrées et d’autres cérémonies, par lesquelles les hommes pratiquent le culte divin. Aussi sont-ils partout célèbres pour leur piété ; et leurs sacrifices paraissent être les plus agréables à la divinité. A l’appui de cela nous avons le témoignage du poète presque le plus ancien et le plus admiré des Grecs, qui nous représente, dans son Iliade, Jupiter et les autres immortels se rendant en Éthiopie pour recevoir les offrandes et les festins que les Éthiopiens leur offrent tous les ans[2]. On remarque que les Éthiopiens ont recueilli, de la part des dieux, la récompense de leur piété, en n’ayant jamais essuyé le joug d’aucun despote étranger. En effet, de tout temps ils ont conservé leur liberté ; et, grâce à leur union, ils n’ont jamais été soumis par les souverains qui ont marché contre eux, et dont aucun n’a réussi dans son entreprise[3].Cambyse, qui avait tenté une expédition en Éthiopie, y perdit toute son armée, et courut lui-même les plus grands dangers. Sémiramis, si renommée par la grandeur de ses entreprises et de ses exploits, à peine s’était-elle avancée dans l’Éthiopie qu’elle abandonna aussitôt le projet de faire la guerre aux habitants de ce pays. Hercule et Bacchus, en parcourant toute la terre, ont épargné les seuls Éthiopiens, habitant au-dessus de l’Égypte, par égard à la piété de cette nation, en même temps qu’à cause de la difficulté de l’entreprise. Les Éthiopiens disent que les Égyptiens descendent d’une de leurs colonies, qui fut conduite en Égypte par Osiris ; et ils ajoutent que ce pays n’était, au commencement du monde, qu’une mer ; mais qu’ensuite le Nil, charriant dans ses crues le limon emporté de l’Éthiopie, a peu à peu formé des atterrissements. S’appuyant sur ce qui se passe aux embouchures du Nil, ils démontrent clairement que toute l’Égypte est l’ouvrage de ce fleuve : tous les ans le terrain est exhaussé par l’apport du limon, et le sol s’agrandit aux dépens de la mer[4]. Ils disent, en outre, que la plupart des coutumes égyptiennes sont d’origine éthiopienne, en tant que les colonies conservent les traditions de la métropole ; que le respect pour les rois, considérés comme des dieux, le rite des funérailles et beaucoup d’autres usages, sont des institutions éthiopiennes ; enfin, que les types de la sculpture et les caractères de l’écriture sont également empruntés aux Éthiopiens. Les Égyptiens ont en effet deux sortes d’écritures particulières, l’une, appelée vulgaire, qui est apprise par tout le monde ; l’autre, appelée sacrée, connue des prêtres seuls, et qui leur est enseignée de père en fils, parmi les choses secrètes. Or, les Éthiopiens font indifféremment usage de l’une et de l’autre écriture. L’ordre des prêtres est, chez les deux nations, établi sur les mêmes bases. Ceux qui sont voués au culte des dieux font les mêmes purifications ; ils se rasent et sont vêtus de la même façon, et ils portent tous un sceptre en forme de charrue. Les rois des deux nations portent aussi un sceptre semblable ; ils ont de plus sur la tête un bonnet long, ombiliqué au sommet, et entouré de ces serpents que l’on nomme aspics. Cet ornement semble indiquer que quiconque ose commettre un attentat contre le roi est condamné à des morsures mortelles. Les Éthiopiens allèguent encore beaucoup d’autres preuves de leur antiquité et de leur colonie égyptienne ; mais nous pouvons nous dispenser de les rapporter. »[5]Précisons la déposition d’Hérodote selon laquelle presque tous les noms des dieux grecs ont été empruntés à l’Égypte et que les Pélasges (premiers habitants de la Grèce qui étaient noirs) sont ceux qui ont donné les noms des dieux grecs que les Égyptiens assurent ne pas connaître[6].

  1. Le chapitre onzième des Métamorphoses d’Apulée de Madaure

C’est Lucius transformé en âne (d’où l’Âne d’Or selon le Berbère Saint Augustin d’Hippone, un des père de l’Église) qui recourt à la divinité pour demander du secours en ces termes : « Reine des cieux, qui que tu sois, bienfaisante Cérès, mère des moissons, inventrice du labourage, qui, joyeuse d’avoir retrouvé ta fille, instruisis l’homme à remplacer les sauvages banquets du vieux gland par une plus douce nourriture ; toi qui protèges les guérets d’Éleusis ; Vénus céleste, qui, dès les premiers jours du monde, donnas l’être à l’Amour pour faire cesser l’antagonisme des deux sexes, et perpétuer par la génération l’existence de la race humaine ; toi qui te plais à habiter le temple insulaire de Paphos, chaste sœur de Phébus, dont la secourable assistance au travail de l’enfantement a peuplé le vaste univers ; divinité qu’on adore dans le magnifique sanctuaire d’Éphèse ; redoutable Proserpine, au nocturne hurlement, qui, sous ta triple forme, tiens les ombres dans l’obéissance ; geôlière des prisons souterraines du globe ; toi qui parcours en souveraine tant de bois sacrés, divinité aux cent cultes divers,  ô toi dont les pudiques rayons arpentent les murs de nos villes, et pénètrent d’une rosée féconde nos joyeux sillons ; qui nous consoles de l’absence du soleil en nous dispensant ta pâle lumière ; sous quelque nom, dans quelque rite, sous quelques traits qu’il faille t’invoquer, daigne m’assister dans ma détresse, affermis ma fortune chancelante. Qu’après tant d’assauts j’obtienne enfin paix ou trêve ; qu’il suffise de tant d’épreuves, de tant de traverses. Ôte-moi cette hideuse enveloppe de quadrupède ; rends-moi aux regards des miens, à ma forme de Lucius. Et si quelque dieu irrité me poursuit d’un courroux implacable, que je puisse mourir du moins puisqu’il ne m’est pas permis de vivre. Après cette prière, accompagnée de lamentations à fendre le cœur, je retombai dans mon abattement, et, m’étant recouché, le sommeil vint de nouveau s’emparer de moi. À peine avais-je fermé les yeux, que du sein des mers s’élève d’abord une face imposante à commander le respect aux dieux mêmes ; puis un corps tout entier, resplendissant de la plus vive lumière. Cette auguste figure sort des flots, et se place devant moi [telle une apparition de la Vierge]. Je veux essayer de tracer ici son image, autant qu’il est possible au langage humain. Peut-être l’inspiration divine viendra-t-elle féconder mon expression, et lui donner la couleur qui lui manque. Une épaisse et longue chevelure, partagée en boules gracieuses, flottait négligemment derrière le cou de la déesse. Une couronne de fleurs mêlées, placée au sommet de sa tête, venait des deux côtés se rejoindre sur son front à l’orbe d’une plaque circulaire en forme de miroir, dont la blanche clarté faisait reconnaître la lune. Le long de ses tempes, régnait en guise de bandeau des vipères dressant la tête. Elle portait une robe du tissu le plus délié, dont la couleur changeante se nuançait tour à tour de blanc pâle, de jaune safrané, et du rose le plus vif ; mais ce qui surprit le plus mes yeux, ce fut son manteau ; il était du noir le plus brillant, et jeté, comme un bouclier, en travers de son dos, du flanc droit à l’épaule gauche. Un des bouts, garni des plus riches franges, retombait à plis nombreux. Sur le fond du manteau se détachait un semis de brillantes étoiles, et dans le milieu se montrait une lune dans son plein, toute rayonnante de lumière. Les parties que l’œil pouvait saisir de l’encadrement offraient une série continue de fleurs et de fruits entremêlés en guirlandes. La déesse tenait dans ses mains différents attributs. Dans sa droite était un sistre d’airain, dont la lame étroite et courbée en forme de baudrier était traversée de trois petites baguettes, qui, touchées d’un même coup, rendaient un tintement aigu. De sa main gauche pendait un vase d’or en forme de gondole, dont l’anse, à la partie saillante, était surmontée d’un aspic à la tête droite, au cou démesurément gonflé. Ses pieds divins étaient chaussés de sandales tissues de la feuille du palmier, arbre de la victoire. Dans cet imposant appareil, exhalant tous les parfums de l’Arabie, la divine apparition daigna m’honorer de ces paroles : Je viens à toi, Lucius, émue par tes prières. Je suis la Nature, mère de toutes choses, maîtresse des éléments, principe originel des siècles, divinité suprême, reine des Mânes, la première entre les habitants du ciel, type universel des dieux et des déesses. L’Empyrée et ses voûtes lumineuses, la mer et ses brises salubres, l’enfer et ses silencieux chaos, obéissent à mes lois : puissance unique adorée sous autant d’aspects, de formes, de cultes et de noms qu’il y a de peuples sur la terre.Pour la race primitive des Phrygiens, je suis la déesse de Pessinonte et la mère des dieux ; le peuple autochtone de l’Attique me nomme Minerve Cécropienne. Je suis Vénus Paphienne pour les insulaires de Chypre, Diane Dictynne pour les Crétois aux flèches inévitables. Dans les trois langues de Sicile, j’ai nom Proserpine Stygienne, Cérès Antique à Éleusis. Les uns m’invoquent sous celui de Junon, les autres sous celui de Bellone. Je suis Hécate ici, là je suis Rhamnusie. Mais les Éthiopiens, des deux Éthiopies et de l’antique et docte Égypte, contrées que le soleil favorise de ses rayons naissants, seuls me rendent mon culte propre, et me donnent mon vrai nom de déesse Isis. Sèche tes larmes, cesse tes plaintes ; j’ai pitié de tes infortunes : je viens à toi favorable et propice. Bannis le noir chagrin ; ma providence va faire naître pour toi le jour du salut. Prête donc à mes commandements une oreille attentive. Le jour qui naîtra de cette nuit me fut consacré par la religion de tous les siècles. Ce jour, l’hiver aura fui avec ses tempêtes ; le calme sera rendu aux flots agités, la mer redeviendra navigable. Et mes prêtres vont me faire offrande d’un vaisseau vierge encore du contact de l’onde, comme inauguration du commerce renaissant. Attends cette solennité d’un cœur confiant et d’une âme religieuse. Au milieu de la marche, le grand prêtre tiendra par mon ordre une couronne de roses de la main qui porte le sistre[instrument de musique des déesses égyptiennes]. Courage ; va, sans hésiter, te faire jour à travers la foule, et te joindre à cette pompe solennelle. Tu t’approcheras du pontife comme si tu voulais lui baiser la main, et, prenant doucement les roses, soudain tu te verras dépouillé de l’odieuse enveloppe qui depuis si longtemps blesse mes yeux. Point d’inquiétude sur l’exécution de mes ordres ; car en ce moment même, et toute présente que je sois pour toi, mon pontife, pendant son sommeil, reçoit de moi des instructions sur ce qui reste à faire. Par mon ordre, les flots pressés de la foule vont s’ouvrir devant toi. Ta grotesque figure, au milieu de cette solennité, n’effarouchera personne ; nul ne trouvera étrange ou suspecte ta soudaine métamorphose. Mais souviens-toi, et que cette pensée soit gravée au fond de ton cœur, que ce qui te reste de vie, jusqu’à ton dernier soupir, m’est désormais consacré. Rendus à l’humanité par mon bienfaisant pouvoir, tes jours m’appartiennent de droit. Tu vivras heureux, tu vivras glorieux sous ma puissance tutélaire ; et lorsqu’au terme prescrit tu descendras aux sombres bords, dans ce souterrain hémisphère, tu me retrouveras, moi que tu vois en ce moment, tu me retrouveras brillante au milieu de la nuit de l’Érèbe, tenant le Styx sous mes lois. Hôte des champs élyséens, tu continueras tes pieux hommages à ta divinité protectrice. Apprends d’ailleurs que, si tu le mérites par ton culte assidu, ton entière dévotion, ta pureté inviolable, j’ai le pouvoir de prolonger tes jours au-delà du temps fixé par les destins. Cet oracle achevé, la glorieuse apparition redescend sur elle-même. »[7]

Cérès est l’étymon à l’origine du mot céréales. Son culte est la source des mystères d’Éleusis, de nature agraire et qui se pratiquaient dans l’Attique. La déesse Cybèle est encore appelée Déesse Mère dont le culte se pratiquait à Pessinonte située en Asie Mineure, dans l’actuelle Turquie. Minerve, c’est la déesse Athéna, la Neïth de la famille démiurgique Saïte d’Égypte qui a donné son nom à la ville d’Athènes en Grèce. Selon Diodore de Cicile[8]cette ville a été fondée par une colonie égyptienne conduite par Cécrops d’où Minerve Cécropienne, déesse tutélaire d’Athènes. Vénus Paphienne rappelle la déesse adorée dans la ville de Paphos en Chypre. Diane Dictynne ou Dictymne est celle adorée chez les Lacédémoniens et les Crétois. Proserpine est la déesse romaine équivalente de la Perséphone des enfers grecs que l’on aperçoit dans la descente d’Orphée aux enfers pour récupérer sa chère Eurydice (cf. l’opéra, Eurydice voulant dire justice sans borne, concept plutôt pharaonique que grec). L’adjectif stygienne renvoie à Styx, l’un des quatre fleuves des enfers (pays des morts). Junon et Bellone sont des déesses romaines respectivement de la fécondité et de la guerre, sœur de Mars qui a donné les Champs de Mars dans beaucoup de ville occidentales, Paris entre autres. C’est d’Isis qu’il est question. Hécate et Rhamnusie sont déesses grecques, respectivement de la lune et d’un bourg de l’Attique appelé Rhamuse. En général, les anciens poètes et les mythologues appellent la terre, en tant que mère, du nom de Cérès, (Déméter)[9].

  1. Les différentes hypostases d’Isis « Celle aux noms innombrables »

Comme nous venons de le voir, Isis est une déesse planétaire, comme elle le dit elle-même elle est « adorée sous autant d’aspects, de formes, de cultes et de noms qu’il y a de peuples sur la terre ». Dès les origines dans la Valée du Nil, alors que chaque contrée semble avoir sa divinité tutélaire, Isis est la Déesse adorée dans tous les nomes. Dès l’Ancien Empire (-2700 à -2200), Isis était déjà la Mère de Dieu[10](comme dans la prière à la Vierge actuellement). Elle est la mère et l’épouse de Rê, de Amon et de Min. De l’Égypte jusqu’à Méroé. Elle est associée à la fête de la moisson et assimilée à Hathor, la déesse de la musique et de l’amour, l’Aphrodite des Grecs (d’où le mot aphrodisiaque pour les stimulants du désir sexuel), la Vénus des Romains. Elle déclare « Je suis celle à qui le Destin obéit ». Nous verrons au paragraphe 4, l’origine de sa puissance parmi les dieux primordiaux de l’Ennéade dans la cosmogonie héliopolitaine de l’Égypte pharaonique. Elle est appelée « celle aux noms innombrables » (Myrionyma), la Maîtresse de la Vie et de la Mort. C’est la Kyria des Grecs, la Regina Augusta des Latins (Seigneur, Reine Auguste).

  1. De la puissance de la Déesse Isis – La seule à connaître nom secret du Créateur

Alors se pose la question légitime de savoir de quelle puissance, de quelle autorité divine se prévaut cette Déesse Isis, une entité créée qui semble rafler la vedette à son Créateur venu à l’existence de Lui-même, non engendré, sans père ni mère et qui est la source et l’origine de toute l’existence ? « Quand j’existai, l’existence exista », dit celui qui a inauguré l’existence en la première fois et sans qui rien de ce qui existe n’existerait[11]. Isis tient sa puissance exceptionnelle de sa nature initiale de Grande Magicienne particulièrement intelligente qui lui permettra de ressusciter son époux Osiris tué par son frère Seth et avec l’aide de sa sœur Nephtys (préfiguration de la sainte Élisabeth). De ce talent de grande Magicienne, elle a profité pour être la seule à connaître le nom secret de Rê, le père des Dieux et des hommes au moyen d’un subterfuge selon les textes égyptiens antiques sur la Création. Connaissant ainsi le nom secret de tous les dieux primordiaux et de Rê Lui-même, elle a donc acquis pouvoir sur eux tous. C’est ce qu’elle a toujours ambitionné[12].

  1. Origine de l’Ave Maria
  • Épithètes de la divinité

Nous avons vu plus haut que c’est la même entité spirituelle isiaque qui a les multiples attributs à travers les âges, les peuples et les cultures. Les dieux et les déesses sont des immortels, il ne peut en être autrement. L’Ave Maria, le « Je vous salue Marie » est une prière du catholicisme romain apostolique. Cette prière est également pratiquée par les orthodoxes. Les protestants, préférant s’adresser uniquement à Dieu et pas à ses archanges, anges et saints ne prient pas la Vierge. Il existe plusieurs versions de cette prière avec des ajouts tardifs. Les premières paroles sont celles de l’Archange Gabriel, le messager de Dieu (préfiguré par Djehuty en Égypte antique) envoyé pour signifier à Marie qu’elle a trouvé grâce auprès de Dieu (Luc 1, verset 28) : c’est l’Annonciation dont la préfiguration a toujours existé dans l’Égypte pharaonique lorsque Amon veut donner un nouveau roi à la Terre Bien-Aimée. Ensuite, quand Marie se rend chez sa sœur Élisabeth (préfigurée par Nephtys) pour vérifier ce que l’Archange Gabriel lui avait prédit, cette dernière s’est écriée en la voyant « Tu es bénie entre toutes les femmes et le fruit de ton sein est béni » (Luc 1, verset 42), c’est l’Annonciation dont la préfiguration égyptienne existe également, notamment dans le temple d’Hatshepsout. Le futur pharaon et son ka (énergie vitale) sont conçus par le dieu potier Khnoum, une autre hypostase d’Amon-Rê. S’ensuivent l’enfantement, l’allaitement du roi, sa présentation aux dieux, puis la prédiction de ses années de règne[13].

  • Immaculée conception

L’union d’Amon-Rê avec celle qu’il choisit pour enfanter un roi constitue la Théogamie depuis l’Ancien Empire. Et dans la titulature pharaonique, entre au moins cinq noms de règne, il y a le nom de Sa Rê, c’est-à-dire le fils de Rê. En réalité, c’est Dieu qui crée et constitue roi un être humain. Il en est ainsi durant toute l’histoire biblique. Le dévoiement de ce concept originel a conduit aux royautés de droit divin depuis notre ère. L’immaculée conception inaugurale date du temps d’Osiris, le premier homme créé par Rê. Suite au meurtre dont il a été victime de la part de son frère jaloux Seth, préfiguration de Satan, ce dernier a découpé son corps qu’il a éparpillé, le phallus ayant été avalé par un poisson du Nil, l’oxyrhinque[14]. Par ses pouvoirs magiques, Isis, sa sœur et épouse va réussir à concevoir sans acte sexuel[15]pour donner un héritier au trône de son père. C’est Horus. Et les pharaons ont aussi un nom d’Horus dans leur titulature. Cette passion d’Osiris et sa résurrection figurent déjà dans les textes des pyramides, les plus anciens textes sacrés de l’humanité.

  • Étymologie du nom Marie

Plusieurs hypothèses existent. Entre autres, d’aucuns évoquent une étymologie hébraïque associant mor (la myrrhe) et yam (la mer). Selon d’autres sources, ce nom dérive du prénom hébraïque Myriam qui signifie « goutte de mer ». Pour d’autres encore, il viendrait de l’hébreu marah se traduisant par « amertume » ou de l’égyptien ancien mrit ou merit signifiant « aimée ». L’égyptologue de référence Christiane Desroches Noblecourt pense que c’est tiré du participe égyptien meryt, l’aimée de Dieu. C’est notre avis aussi. En effet, Marie est certainement plus une Égyptienne qu’une Hébreu. Nous verrons au paragraphe 7 les raisons de cette opinion.

  • Le naos – La grotte de la Sainte Vierge

Dans des lieux de culte, de procession voire des domiciles privés, la statue représentant la Vierge est souvent mise dans une construction qui l’entoure voire dans ce qu’on appelle une grotte. L’origine de cet abri de la statue est le naos des temples égyptiens correspondant au « saint des saints » et abritant la statue de la divinité à laquelle des prêtres ritualistes apportent un soin particulier notamment les toilettes quotidiennes, les libations et autres offrandes en signe de dévotion.

  • Isis allaitant Horus – les Vierges Noires

C’est naturellement que la chrétienté primitive née en Afrique a adopté l’image de l’Isis allaitant son fils Horus comme la Madonna lactans[16]. À l’origine les statues de la Sainte Vierge, à l’image de sa préfiguration isiaque sont noires. On en recense jusqu’à 500 exemplaires dans le pourtour méditerranéen dont 180 rien qu’en France. Celle de Pologne à Czestochowa est très célèbre pour être adorée par le pape Jean-Paul II de même que ses successeurs Benoît XVI et François qui y ont déjà prié. Le pape polonais avait d’ailleurs perpétué une tradition millénaire en offrant une rose en or à la divinité comme la couronne de roses qui a rendu à Lucius d’Apulée de Madaure sa nature humaine après que sa mauvaise manipulation en magie avec Photis l’a transformé en âne. Récemment dans une ville espagnole une tentative de « blanchisation » d’une statue de la vierge à l’enfant a tourné au fiasco[17]. C’est dans la chapelle d’El Ranadoiro.

  1. Le culte d’Isis
  • Antiquité

À l’origine, le culte d’Isis était répandu dans toute la vallée du Nil de l’Éthiopie jusque dans le delta. Les temples de la déesse étaient dans tous les nomes contrairement aux autres divinités qui avaient leur ville de prédilection comme Hermopolis pour Djehuty ou Lycopolis pour Anubis ou même Abydos pour le grand Osiris.

Avec la conquête du Macédonien Alexandre le Grand au 4èmesiècle avant notre ère, et sa succession par la dynastie lagide des Ptolémée le culte d’Isis s’est diffusé dans le monde gréco-romain de l’ensemble du bassin méditerranéen. C’est seulement au 6èmesiècle de notre ère (530) que l’empereur romain d’Orient Justinien Ier ordonna la fermeture du célèbre temple d’Isis sur l’île de Philae, fit amener les statues de la déesse à Constantinople et emprisonner les derniers prêtres d’Isis[18].

  • Moyen âge européen

Au moyen âge (de 500 à 1500), plusieurs temples sont disséminés à travers l’Europe occidentale et dédiés au culte d’Isis. De la ville côtière de Rakote, la future Alexandrie, la figure de la déesse Isis allait devenir Isis pharia avec la construction du phare. C’est ainsi qu’Isis devint la protectrice des navigateurs dans tout le bassin méditerranéen. Elle porte désormais dans une main l’ancre marine et dans l’autre l’enfant Horus – Jésus. Dans sa barque sacrée originaire d’Égypte, elle ira jusqu’à débarquer à Lutèce, la future ville de Paris, capitale de la France. Les anciennes armoiries de Paris figurent la barque sacrée avec la statue d’Isis en proue et celle d’Osiris en poupe[19]. Il est légitime de dire que les villes telles que Paris, Villeparisis doivent leur nom à Isis.

À la renaissance, la franc-maçonnerie occidentale se considère comme la veuve isiaque d’Osiris. Une veuve et ses enfants, c’est ainsi que se désignent l’organisation secrète et ses membres. Pour Cheikh Anta Diop, la franc-maçonnerie moderne est une forme abusivement dénaturée du modèle égyptien, initiatique et élitiste[20].

  • La Marianne, symbole de la République française et la statue de la liberté aux États Unis

On admet généralement que Marianne est une contraction de Marie et de Anne, la dernière étant la mère de la première dont le père est Joachim. La Marianne est représentée avec le bonnet phrygien que portaient les esclaves affranchis de la Rome antique d’où l’allégorie de la liberté. C’est l’image d’une femme que les révolutionnaires ont choisie comme symbole de la liberté. Cette image fait également référence à l’Alma Mater (Mère Nourricière) des Romains qui n’est autre qu’une adaptation d’Isis comme nous l’avons vu dans la longue citation du chapitre onzième des Métamorphoses d’Apulée. La Marianne est exportée aux États Unis avec la statue de la liberté offerte par la France. C’est surtout les attributs de la Marianne qui révèlent sa nature isiaque :

Les seins (parfois nus) La nourricière
La cuirasse Le pouvoir (Isis porte le trône sur sa tête)
Le lion (animal de la faune africaine) Le courage et la force du peuple
L’étoile (symbole de la déesse égyptienne Seshet, autre hypostase d’Isis) L’intelligence
La balance (principe de la Maât : Justice et Vérité) La justice
  1. De la fuite de la Sainte famille en Égypte

Annoncée par le prophète Osée (chapitre 11, verset 1), la parole de la fuite de fuite du fils de Dieu en terre africaine en Égypte fut accomplie en l’Évangile selon Mathieu chapitre 2, versets 13 à 23. Se pose alors la question de savoir pourquoi face à la menace d’Hérode sur l’enfant Jésus, l’ange de Dieu a commandé à Joseph de partir non pas plus proche vers l’Est ou le Nord mais en Égypte plus au Sud en traversant le désert de Sinaï ? Et le périple de leur fuite ne s’est pas arrêté dans le delta à l’Est comme le firent les Hébreux (les poussiéreux Abirous, coureurs du désert) à leur arrivée naguère en Égypte. Non, la sainte famille est descendue au sud jusqu’en Haute Égypte. Pour beaucoup, la famille de Jésus aurait une origine égyptienne et donc se sentant menacée en Galilée, elle a fait le choix de regagner le bercail[21]. La mémoire du passage de la sainte famille en Égypte est marquée par des lieux de culte le long de son itinéraire. Près de la ville d’Héliopolis (Iounou), dans la localité de Matariya, les vestiges de l’arbre de la Vierge où Marie s’était reposée reçoit encore la piété des Coptes, derniers descendants des métissages multiples de la population des autochtones de la Valée du Nil avec les envahisseurs successifs. L’UNESCO se prépare à reconnaître au patrimoine universel de l’humanité l’itinéraire de la sainte famille en Égypte jusqu’à Meïr.

  1. Quelles conclusions pour l’Afrique et l’humanité dans son ensemble

Il s’agit pour l’Afrique de sortir du voile artificiel qui cache son histoire véritable. Depuis les invasions successives de la Vallée du Nil au 7èmesiècle avant notre ère à commencer par les Assyro-babyloniens (sac de Memphis en -671 par Assarhaddon et de Thèbes en -663 par son fils Assurbanipal), l’Afrique a été progressivement dépossédée de son héritage culturel et les Africains confinés à une frustration de leur inconscient collectif. Les Ptolémée, généraux du conquérant Alexandre III de Macédoine qui ont installé la dynastie lagide à la tête de l’Égypte à la mort de leur chef en 323 avant notre ère, se sont accaparé l’héritage africain comme butin de guerre qu’ils ont transmis au monde gréco-romain. C’est de cet héritage que se réclame l’Occident impérialiste aujourd’hui. Les humanités classiques africaines doivent être restituées comme fondement d’un véritable corps de science selon les vœux de Diop et alors l’humanité entière ayant pris naissance en Afrique retrouvera son unité jusqu’alors faussée par de vaines rivalités en vue d’une véritable fraternité universelle. En effet, nos comportements sont le reflet de notre perception de nous-mêmes. Et notre perception de nous-mêmes dépend de ce que nous savons de nous. Et ce que nous savons de nous dépend de ce qu’on nous a appris de notre histoire. Les chocs de civilisations, de culture et autres guerre de religions seront du coup vidés de leur raison. Imaginons un seul instant d’avoir à nouveau des dirigeants ayant pour mission de mettre Maât à la place d’Isefet. L’Ordre, la Vérité, la Justice à la place du Désordre, du Chaos. C’est l’esprit de la cité idéale dans la République de Platon en tant qu’elle a pour finalité, la justice et l’harmonie sociales.

[1]Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Livre I, chap. XXIX

[2]Référence à l’Iliade chant premier, vers 424 d’Homer, 9èmesiècle avant notre ère

[3]C’est à se demander si l’Afrique a perdu sa piété conformément à la prophétie de Djehuty (Toth ou Hermès) Cf. Hermès Trismégiste, Traduction complète par Louis Ménard, Éditions de la Maisnie 1977, 2004, Page 147

[4]À rapprocher de l’opinion d’Hérodote (5èmesiècle avant notre ère) : l’Égypte (précisément le Delta) est un don du Nil – Hérodote : Histoires, livre II, chap. V

[5]Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Livre III, chap. II-III

[6]Hérodote : Histoires, livre II, chap. L

[7]Apulée de Madaure : Les Onze Métamorphoses ou L’Âne d’Or selon Saint Augustin d’Hippone, un des Pères de l’Église, Livre XIème

[8]Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Livre I, chap. XXVIII

[9]Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Livre III, 62

[10]Ruth Schumann Antelme, Stéphane Rossini : Dictionnaire illustré des dieux de l’Égypte, préface de Christiane Desroches Noblecourt, Éditions du Rocher 2003, pages 201-208

[11]André Barucq et François Daumas : Hymnes et prières de l’Égypte Ancienne, Éditions du Cerf 1980, Page 223 Cf. le Grand Hymne à Amon : papyrus Leiden 1350

[12]Claire Lalouette : Contes et récits de l’Égypte Ancienne, Champs classiques, Flammarion 1995 pages 99-102

[13]Christiane Desroches Noblecourt : Le fabuleux héritage de l’Égypte, Éditions Pocket 2006, pages 253-256

[14]Claire Lalouette : Contes et récits de l’Égypte Ancienne, Champs classiques, Flammarion 1995 pages 105-117

[15]André Barucq et François Daumas : Hymnes et prières de l’Égypte Ancienne, Éditions du Cerf 1980, Page 95 (Le grand hymne à Osiris)

[16]Christiane Desroches Noblecourt : Le fabuleux héritage de l’Égypte, Éditions Pocket 2006, pages 278-279

[17]https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/art-culture-edition/espagne-la-restauration-fantaisiste-d-une-vierge-du-xve-par-une-paroissienne_2930175.html

[18]L’Égypte Ancienne, Encyclopaedia Universalis édition de 1999, page 11

[19]Christiane Desroches Noblecourt : Le fabuleux héritage de l’Égypte, Éditions Pocket 2006, pages 273-277

[20]Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie – Anthropologie sans complaisance, Éditions Présence Africaine 1981, page 422

[21]Christiane Desroches Noblecourt : Le fabuleux héritage de l’Égypte, Éditions Pocket 2006, pages 291

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