L’AFRIQUE, L’ILIADE ET L’ODYSSÉE – RÉAPPROPRIATION D’UN HÉRITAGE LITTÉRAIRE DE L’ANTIQUITÉ NÉGRO-AFRICAINE

ÉPIGRAPHE: « Au reste, l’autorité d’Homère a toujours été si grande, & l’on a toujours eu tant de respect & de vénération pour ses écrits, que les Anciens croyaient avoir assez bien prouvé une chose, quand ils produisaient le moindre passage de cet Auteur pour appuyer leur opinion, ou pour résoudre leurs doutes. Je ne parle pas seulement des Géographes, des Poètes, & des Rhéteurs : Je parle des Théologiens, des Physiciens (médecins ?), des Philosophes Moraux, & même des Généraux d’armées. » Le leader Huguenot Tanneguy Le Fèvre, Les vies des Poètes Grecs, 1665, pg 15.
Plan
  1. Introduction
  2. Prolégomènes
    • La question de l’appartenance de l’Iliade et l’Odyssée à la littérature occidentale
    • L’épopée, un genre littéraire négro-africain depuis la plus haute antiquité
    • Les occurrences africaines dans l’Iliade et l’Odyssée
    • Déposition d’Hérodote d’Halicarnasse (-450) concernant Hélènè, à l’origine de la guerre de Troiè
    • Les Suppliantes d’Eschyle (VIe – Ve s. avant JC)
    • Les peuples impliqués dans la guerre de Troiè
  3. Les cérémonies religieuses dans l’œuvre d’Homère ayant encore cours actuellement en Afrique dans les segments non chrétien et non musulman de la spiritualité
    • Le prêtre Sem à la peau de léopard
    • La manière d’égorger les animaux sacrificiels en les laissant palpiter par terre
    • Les libations sacrées
  4. La délibération dans l’agora
  5. La sacralisation de l’hospitalité
  6. Phénomènes surnaturels et mystérieux
  7. Conclusion
  1. Introduction
À coup sûr, je vais surprendre plus d’un. Probablement encore plus les Africains et en premier lieu ceux qui ignorent leur véritable histoire. Mais les faits sont là, gravés de manière indestructible dans les documents historiques. On les déterre en fouillant, on les croise fortuitement au détour de recherches dans d’autres buts. De même que l’Afrique est au cœur du message biblique et que sans l’Égypte, il n’y aurait pas eu la bible de l’aveu même de l’égyptologue suisse Thomas Römer[1], de même aussi l’Afrique est au centre des poèmes homériques et sans l’Égypte, il n’y aurait pas eu l’Iliade et l’Odyssée. Tel est le but de ce propos.
« On soutient que les Éthiopiens sont les premiers de tous les hommes, et que les preuves en sont évidentes…. On prétend aussi que les Éthiopiens ont les premiers, enseigné aux hommes à vénérer les dieux, à leur offrir des sacrifices, à faire des pompes, des solennités sacrées et d’autres cérémonies, par lesquelles les hommes pratiquent le culte divin. Aussi sont-ils partout célèbres pour leur piété ; et leurs sacrifices paraissent être les plus agréables à la divinité. À l’appui de cela nous avons le témoignage du poète presque le plus ancien et le plus admiré des Grecs, qui nous représente, dans son Iliade, Jupiter et les autres immortels se rendant en Éthiopie pour recevoir les offrandes et les festins que les Éthiopiens leur offrent tous les ans. »[2]. On les appelait les macrobiens (car ils vivent plus longtemps) et les plus beaux des hommes selon la description qu’en donnait Diodore de Sicile. « Et Eurypylos était le plus beau des hommes que j’aie vus, après le divin Memnôn (un Éthiopien ayant combattu aux côtés des Troiens). »[3].
La piété africaine est illustrée ailleurs dans ce passage des Métamorphoses d’Apulée : « … mon être divin est unique et nombreuses sont les formes, divers les rites, infinis les noms par lesquels me vénère l’Univers entier. Ici pour les Phrygiens, premiers-nés des mortels, je suis Celle de Pessinonte, mère des dieux, là pour les Attiques, nés du sol, je suis Minerve Cécropienne ; ailleurs, pour les Cypriotes, fils du flot, je suis Vénus de Paphos, pour les Crétois porte-flèches, Diane Dictys ; pour les Siciliens aux trois langues, Proserpine Stygienne ; pour les Antiques Éleusiens, la Cérès attique ; Junon pour les uns, Bellone pour les autres, Hécate pour ceux-ci, pour ceux-là Celle de Rhamnonte, mais les peuples que le dieu Soleil, à son lever éclaire et qu’il éclaire à son coucher de ses rayons déclinants, les Éthiopiens des deux Éthiopies et les Égyptiens puissants d’un antique savoir m’adorent selon les rites qui me sont propres et c’est de mon vrai nom qu’ils m’appellent Isis Reine. »[4].
Le prophète biblique Coushite Sophonie (Africain) dit : « Venus de plus loin que les fleuves d’Éthiopie, mes adorateurs, ceux que j’ai dispersés, m’apporteront des offrandes. »[5]. « Ils disent, en outre, que la plupart des coutumes égyptiennes sont d’origine éthiopienne, en tant que les colonies conservent les traditions de la métropole ; que le respect pour les rois, considérés comme des dieux, le rite des funérailles et beaucoup d’autres usages, sont des institutions éthiopiennes … »[6].
  1. Prolégomènes
    • La question de l’appartenance de l’Iliade et l’Odyssée à la littérature occidentale
Il n’est pas un ouvrage ou un article évoquant Homère ou ses deux principales œuvres que sont l’Iliade et l’Odyssée sans le sacro-saint énoncé assertoire quasi obsessionnel de leur appartenance à littérature occidentale ! Rien que ça, le reste de l’humanité peut se calmer dans ses ardeurs et ses prétentions. Les frustrations, il faut exister avant d’en éprouver. On vous nie en tant qu’êtres.
Mais qui est Homère au juste, cette figure objet de tous les fantasmes dont toutes les contrées revendiquent l’origine et dont certains érudits affirment purement et simplement qu’il n’a jamais existé comme le philologue allemand Friedrich August Wolf et ses suivants français du 18ème siècle ?[7],[8]
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’un voile épais qui paraît savamment entretenu entoure son origine. A titre personnel, mes recherches m’ont appris que dans la plupart des cas de personnages historiques dont l’origine est sujette à controverses, il s’agit d’un Africain. On peut citer l’exemple de Melchisedek roi de Salem, de Moïse, d’Hénoch, d’Euclide d’Alexandrie, de la Reine de Saba, d’Orphée, d’Ésope le fabuliste éthiopien plagié par Jean de la Fontaine (ce n’est d’ailleurs pas le seul Africain qu’il a plagié puisque L’eunuque est inspiré de Terrence de Carthage et Les amours de Psyché et Cupidon d’Apulée de Madaure) … Une chose est certaine, c’est que du temps d’Homère (VIIe –VIIIe s. avant JC selon Hérodote)[9], il n’y avait pas de tradition d’écriture chez les Grecs. Les plus anciens intellectuels de ces contrées à l’Est de la Méditerranée comme Thalès de Milet qui ont fait leur formation philosophique en Egypte n’étaient pas Grecs d’Europe mais d’Asie Mineure, c’est-à-dire la Turquie actuelle. À quelques années près, les cités-États grecques étaient encore occupées par leurs guerres de l’Attique et du Péloponnèse. D’ailleurs, l’Iliade et l’Odyssée étaient écrits en dialectes éoliens et ioniens, donc d’Asie Mineure[10]. Il est un point sur lequel s’accordent tous les auteurs autour de l’épineuse question de l’origine du poète Homère, c’est qu’il a séjourné en Égypte. D’ailleurs, à cette époque, pour un intellectuel grec, avoir fait le voyage de deux Drachmes[11] pour aller étudier dans la vallée du Nil est un point fort de son curriculum vitae.
Certes, l’influence d’Homère sur la civilisation occidentale à travers la Grèce puis la Rome Antiques est immense. Les concepts tels l’odyssée, les éléments et les idées que leurs noms véhiculent (Amazones, Gaia, Hélios, Okéanos, Ouranos …), le chant des sirènes, les fameux monstres Khimaira (Chimère), le Cyclope Polyphèmos, Scylla et Charybde (tomber de Charybde en Scylla pour dire aller de mal en pis). Dire d’une femme fidèle qu’elle est une Pénélope (Pènélopéia femme d’Odysseus) ou l’expression tisser une toile de Pénélope pour dire mener une tâche interminable. Les premières occurrences de noms tels Alexandros, Cassandros, Ajax, Akhilleus, Hélènè…les sites géographiques devenus célèbres et stratégiques tels le détroit de Dardanelles (Hellespontos) qui sépare la Méditerranée de la Mer Noire. On n’oubliera pas la référence à l’au-delà avec les célèbres Champs Élysées auxquels la ville de Paris, la capitale de la France a emprunté le nom de sa célèbre avenue. Bref tout le fondement de la mythologie grecque est avant tout homérique. L’Enéide de Virgile n’aurait pas été écrit sans le prince troyen Ainéas. Les auteurs fondamentaux tels Platon, Aristote, Plutarque ponctuent constamment leurs écrits en se référant aux vers du divin poète Homère pour donner du poids à leurs idées. Du reste, ils ont tous été élèves de la vallée du Nil. Andromaque, modèle d’épouse et de mère, femme d’Hêktor au casque mouvant, prince des hommes, est le personnage central des œuvres éponymes d’Euripide et plus tard de Jean Racine. Même le poète Baudelaire, (ayant eu pour muse une femme noire, Jeanne Duval) a consacré à Andromaque « Le Cygne » dans les Fleurs du Mal. Le mythe de Sisyphe (grand père de Bellérophon) d’Albert Camus, le complexe d’Œdipe…les événements de la Troade constituent un vivier inépuisable pour la littérature, la philosophie, les arts depuis l’antiquité et le cinéma jusqu’à ce jour.
Sans entrer profondément dans le débat interminable, et pour cause, de l’origine d’Homère, nous allons visiter certains témoignages qui illustrent notre propos. À côté des cités grecques qui se disputent entre elles le lieu de sa naissance, certains auteurs affirment qu’il est né en Égypte. C’est le cas de l’écrivain phénicien Héliodore du IIIe siècle qui parle à plusieurs reprises d’Homère l’Égyptien[12]. Plusieurs autres auteurs cités par Tatien et par Clément d’Alexandrie, croient qu’Homère était Egyptien[13]. Pour mémoire, Clément d’Alexandrie a écrit dans son Stromata qu’un livre de mille pages ne suffirait pas à recenser tout ce que ses compatriotes grecs ont copié des Égyptiens. « Alexandre de Paphos cité par Eustathe de Thessalonique dit : « Son père se nommait Damaxagore et sa mère œcra. Sa nourrice, fille d’un prêtre d’Isis, était une prophétesse ; le miel distillait de ses mamelles dans la bouche de l’enfant. Les premiers accents qu’il fit entendre ressemblaient à un concert d’oiseaux mélodieux ; les muses, sous la forme de tourterelles, venaient jouer avec lui. Dans un accès de fureur poétique, la Sybille qui l’allaitait prescrivit à Damaxagore d’élever un temple aux muses. »
Héliodore, dans son roman des Amours de Théagène et Chariclée, enchérit encore sur ces merveilles. Selon lui, le père putatif d’Homère était un prêtre de Thèbes… »[14]. On objectera simplement qu’on voit difficilement une égyptienne, de surcroit prophétesse de son État, le plus puissant du monde à cette époque, être la nourrice d’un bébé grec quand on sait que pour les Égyptiens, les Grecs n’étaient pas encore sortis de la barbarie « …aussi n’y a-t-il point d’Égyptien ni d’Égyptienne qui voulût baiser un Grec à la bouche, ni même se servir du couteau d’un Grec, de sa broche, de sa marmite, ni goûter de la chair d’un bœuf monde qui aurait été coupée avec le couteau d’un Grec »[15]. Et la prêtrise ne pouvait être exercée par un non autochtone de la vallée du Nil à cette époque d’Homère (environ -800). Etienne Aignan, dans sa traduction en vers français de l’Iliade, de même que plusieurs autres tels les membres de académie française Delisle de Sales, J-B Le Chevalier ont écrit en cœur, se référant au « A dissertation concerning the War of Troy »[16] de Jacob Bryant publié en 1796, pour s’insurger contre la thèse selon laquelle Homère n’est pas l’auteur des deux poèmes qui racontent des événements remontant à un demi-millénaire avant lui mais une Égyptienne : « Le docteur anglais Bryant … prétend qu’Homère, poète égyptien, déroba dans sa vieillesse aux archives du temple d’Isis, deux poëmes de Phantasia, qui retraçoient les anciennes fables égyptiennes; que, pour déguiser son plagiat, il transporta la scène dans la Troade, altéra les noms des dieux et des héros d’Egypte, et devint par-là le créateur de la mythologie grecque. Ainsi Ménélas ne seroit autre que le pharaon Ménès, Agamemnon dériveroit d’aga, qui signifie chef en Orient, et de Memnon, fils du Soleil. Troie elle-même seroit empruntée d’un bourg égyptien du même nom, dont Strabon atteste l’existence. »[17].  Delisle de Sales, polygraphe français connu pour la médiocrité de certains de ces écrits historiques y est allé avec excès qualifiant la position de Jacob Bryant d’antilittéraire (sic) : « …quelle a été ma surprise en 1802, lorsque l’histoire littéraire de l’Angleterre m’a appris que ce nouveau père Hardouin (allusion ironique au jésuite Jean Hardouin du XVIIe s. brocardé pour ses paradoxes) existait dans Londres, et que depuis trente ans il fatiguait la renommée de ses savantes diatribes contre le chantre d’Achille et d’Ulysse, dont il enviait, mais dans un sens inverse, l’immortalité ! L’ouvrage dont il s’agit a pour titre : A Dissertation concerning the war of Troy, ou Dissertation sur la guerre de Troie, par le docteur Bryant. Cet écrit, plein de recherche et de mauvais goût, d’audace scientifique et de crédulité, eut un grand succès dans le temps. J’ai eu entre les mains la seconde édition imprimée à Londres, et qui porte la date de 1799. Ce gant de combat une fois jeté dans l’arène, une foule d’hellénistes et d’hommes de lettres distingués le ramassèrent : celui de ces derniers dont le nom nous est le plus connu est le savant Moritt, dont l’apologie d’Homère, traduite en français, forme le troisième volume du Voyage de la Troade. Il n’est point indifférent à l’histoire de l’esprit humain de nous arrêter un moment sur la production antilittéraire du docteur Bryant, parce qu’elle n’est point le résultat d’un moment de verve ironique, comme l’Eloge de la folie. L’auteur a travaillé à froid, comme s’il avait à disséquer un cadavre ou à calculer une éclipse ; il a l’air d’être persuadé de sa rêverie, comme le conteur accoutumé à feindre se surprend quelquefois à croire sa propre imposture. Ce docteur Bryant, ainsi que Tarquin (roi romain, figure de repoussoir, concentré de négativités), commence par abattre avec sa faux, dans les champs grecs, toutes les tiges qui semblent insulter à l’égalité. La fameuse confédération qui amena cent mille Grecs dans la Troade pour venger l’enlèvement d’Hélène est, à son gré, un des mille et un mensonges consacrés par l’histoire. Pâris, l’amant d’Hélène, est le héros d’un conte mythologique qui n’a pas plus de fondement que le jugement des trois déesses pour décerner le prix de la beauté. »[18]. Précisons au passage que Jacob Bryant est un savant mythographe du XVIIIe s. pour qui la race de Cham est la fondatrice des civilisations grecques ancienne et classique. Il est rejoint en cela par la philosophe Simone Weil[19]. Ce que nous lisons actuellement de l’Iliade et l’Odyssée relève plus de la mythographie que de l’histoire selon un prêtre memphite, homme de science comme nous le verrons plus loin. Et seuls les Égyptiens sont réputés pour tenir des annales historiques. Pas les Grecs. Ce dialogue entre un prêtre égyptien et Solon dans le Timée de Platon nous situe bien à propos : « En Égypte, dit Critias, dans le Delta formé par le Nil…, Saïs, est la patrie du roi Amasis (le pharaon Ahmès II de la XXVIe dynastie). Les habitants ont pour protectrice de leur ville une déesse dont le nom égyptien est Neïth, et qui, suivant eux, est la même que l’Athénée des Grecs. Ils aiment beaucoup les Athéniens, et ils se disent de la même origine (Athènes revendique être une colonie égyptienne fondée par Cécrops, un Égyptien). Arrivé à Saïs, Solon, comme il nous l’a raconté lui-même, fut fort bien reçu ; il interrogea les prêtres les plus instruits sur l’histoire des temps anciens, et il reconnut qu’on pouvait presque dire qu’auprès de leur science, la sienne et celle de tous ses compatriotes n’était rien. Un jour, voulant engager les prêtres à parler de l’antiquité, il se mit à leur raconter ce que nous savons de plus ancien. Un des prêtres les plus âgés lui dit : O Solon, Solon, vous autres Grecs vous serez toujours enfants ; il n’y a pas de vieillards parmi vous.  Et pourquoi cela ? répondit Solon. Vous êtes tous, dit le prêtre, jeunes d’intelligence ; vous ne possédez aucune vieille tradition ni aucune science vénérable par son antiquité… Tout ce que nous connaissons, chez vous ou ici ou ailleurs, d’événements glorieux, importants ou remarquables sous d’autres rapports, tout cela existe chez nous, consigné par écrit et conservé dans nos temples depuis un temps immémorial. Mais en Grèce à peine a-t-on constaté vos actions et celles des autres peuples, soit par écrit, ou par tout autre moyen en usage dans des états civilisés, … »[20]. On a la même évocation dans le dialogue Critias ou l’Atlantide de Platon. Il est de notoriété historique que Platon d’Athènes a étudié à Héliopolis en Égypte. Dans le tome II des Voyages de Pythagore en Égypte de Pierre-Sylvain Maréchal paru en 1798, nous pouvons lire ce dialogue entre Pythagore et un prêtre memphite aux pages 55 à 56 : « … Nous avons inspiré à votre Homère, …, tant d’estime, pour la musique et pour ceux qui la cultivent, qu’Agamemnon quitte sans inquiétude son palais et ses États, après avoir placé auprès de sa femme et à la tête du gouvernement, un habile harmoniste de Corcyre nommé Démadoque. Si l’événement ne répondit point aux précautions du grand roi, c’est que la passion discordante de la reine l’emporta et rompit toutes les mesures du ministre sage, mais aveugle. Son frère Phemius fut plus heureux contre les poursuivants de Pénélope à Ithaque. Je marquais de la surprise de voir mon guide aussi familiarisé avec les poèmes d’Homère. Que ton étonnement cesse, me répondit le prêtre memphien ; en me faisant passer dans un lieu dépositaire des archives sacrées de l’Égypte et des nations voisines. Il m’y déroula deux volumes contenant le récit de la guerre de Troye et des aventures d’Ulysse : voici les deux sources où le grand poète de la Grèce y puisa sans difficulté. Voici les matériaux que son génie a mis en œuvre. Nous lui fûmes utiles ; et qu’il nous soit permis de revendiquer cette gloire pure !
Pythagore : Homère du moins sut profiter de son séjour parmi vous. Le prêtre : D’autres, avant lui, avaient déjà habillé l’histoire du brillant manteau des Muses. Doit-elle s’en applaudir ? En devenant plus agréable, en est-elle devenue plus utile ? Votre divin Homère a laissé un bien dangereux exemple. Il avait du génie sans doute, mais peut-être aux dépens de la sagesse. Lui et ses devanciers ont introduit le désordre de l’imagination dans les sciences naturelles, politiques et religieuses. Je fréquentai peu la bibliothèque du temple de Vulcain : Homère la consulta. On assure qu’il y trouva de bons matériaux pour la composition de ses poèmes. »[21]. Sur cette dernière partie de la déposition du prêtre memphite, nous avons une indication sur le débat entre ceux qui avancent qu’Homère était Égyptien et ceux qui affirment qu’il a visité le pays et a été instruit par des Égyptiens. Mais quant à la source qui a fécondé son imagination fertile à l’origine de ses poèmes, en plus de la déposition du prêtre égyptien, nous disposons d’un récit du grammairien Ptolémée Chennos d’Alexandrie du début de notre ère selon lequel Phantasia, une poétesse de Memphis avait composé antérieurement à Homère une Iliade et une Odyssée. Et il rejoint le prêtre memphite ci-dessus en ajoutant que ces livres furent déposés à Memphis et qu’Homère y vint et en obtint une copie de Phanites, scribe du temple, copie dont il s’inspira pour composer ses poèmes[22]. Selon une autre source, le Byzantin Eustathe de Théssalonique du XIIe siècle, un certain Naucrate a écrit que Phantasia, une femme de Memphis, une poétesse savante et inspirée, fille de Nicarchus (lui-même poète égyptien), ayant composé des travaux sur la guerre à Ilion et l’errance d’Odysseus, a déposé ses livres dans le sanctuaire d’Héphaïstos (Ptah des Égyptiens et Vulcain des Romains) à Memphis. Ensuite, après l’arrivée d’Homère, il a pris des copies d’un des scribes sacrés, et a enfin composé l’Iliade et l’Odyssée. Et certains disent soit qu’Homère était un poète égyptien, soit qu’il étudiait (littéralement « fréquentait ») l’Égypte, il était son élève[23]. Par ailleurs, voici ce qu’on peut lire sur le site du Brooklyn Museum: « Since the early centuries C.E., various authors have put forth the claim that Homer plagiarized the Iliad and Odyssey from an Egyptian poet named Phantasia. The story goes that Phantasia, daughter of Nicarchus, a professor of philosophy at Memphis, Egypt, wrote an account of the Trojan War and the adventures of Odysseus. Her poems were deposited in a temple at Memphis, where Homer procured a copy and followed them closely in composing his epic works. This story gained currency among nineteenth-century classicists…»[24].
  • L’épopée, un genre littéraire négro-africain depuis la haute antiquité
Le « griot » en Afrique d’aujourd’hui, un terme de l’ethnographie coloniale du XVIIIe s. (il faut lui préférer chantre, aède, poète ou même coryphée), dit que son art vient d’une longue tradition antique remontant à la vallée du Nil. Homère lui-même chantait plus souvent ses poèmes pour gagner sa vie. Nous pouvons avancer que l’épopée est un genre littéraire authentiquement africain. Pourquoi ? Parce qu’avant les poèmes d’Homère (l’Iliade et l’Odyssée où les rituels typiquement africains ayant encore cours à ce jour sont légion et sur lesquels nous allons revenir plus bas), il y eut la stèle du général Ouni du pharaon Pepi I au XXIIe s. avant JC, la stèle poétique de Karnak de Menkheperê Djehutymesou dit Toutmosis III au XVIe s. avant JC et ce, au moins deux millénaires avant l’Enéide de Virgile. Même Ronsard a eu un projet avorté d’écrire la Franciade avec comme héros un personnage fictif nommé Francus qui serait fils du Troyen Hêktor à l’instar de Pyrrhus Néoptolème fils d’Akhilleus.
« Cette armée est revenue en paix après avoir rasé le pays des habitants du sable
Cette armée est revenue en paix après avoir renversé ses villes fortifiées
Cette armée est revenue en paix après avoir coupé ses figuiers et ses vignobles
Cette armée est revenue en paix après avoir mis au feu tous ses hommes
Cette armée est revenue en paix après avoir tué des troupes très nombreuses
Cette armée est revenue en paix après avoir ramené des prisonniers en grand nombre. » Extrait de la stèle d’Ouni, traduction de Nicolas Gimal[25].
« Si je suis venu c’est pour te faire piétiner les chefs du Djahy et les étaler sous tes pieds à travers les pays étrangers, je leur ferai voir Ta Majesté en maître de la lumière et tu illumineras à leurs yeux à ma ressemblance.
Si je suis venu c’est pour te faire piétiner les habitants de l’Asie et que tu frappes la tête des Asiatiques du Réténou, je leur ferai voir Ta Majesté équipée de tes ornements quand tu prends les armes du combat sur le char.
Si je suis venu c’est pour te faire piétiner la terre orientale et que tu écrases ceux qui sont dans les contrées de la Terre-du-dieu, je leur ferai voir Ta Majesté comme l’étoile filante projetant ses étincelles de feu quand il répand sa pluie dévastatrice
Si je suis venu c’est pour te faire piétiner la terre occidentale, les îles Keftiou et Isy étant soumises au respect que tu inspires, je leur ferai voir Ta Majesté en jeune taureau, le vaillant aux cornes acérées auquel on ne peut se mesurer.
Si je suis venu c’est pour te faire piétiner ceux qui sont dans leurs Nebout, les terres du Mitanni tremblant sous la crainte de toi, je leur ferai voir Ta Majesté en crocodile, le maître de la frayeur au milieu de l’eau, que l’on ne peut approcher.
Si je suis venu c’est pour te faire piétiner les habitants des îles, ceux qui sont au milieu du Grand Vert étant soumis à ton cri de guerre, je leur ferai voir Ta Majesté en vengeur, celui qui apparaît sur le dos de son taureau-sauvage.
Si je suis venu c’est pour te faire piétiner la Libye et les îles, les habitants de Ouetnet étant (soumis) au pouvoir de ta puissance, je leur ferai voir Ta Majesté en lion terrifiant pour que tu les réduises en cadavres le long de leurs vallées.
Si je suis venu c’est pour te faire piétiner les confins de la terre, ce qu’entoure l’océan étant contenu dans ton poing, je leur ferai voir Ta Majesté en maître des airs, le faucon qui emporte ce qu’il guette autant qu’il désire.
Si je suis venu c’est pour te faire piétiner ceux qui sont au bout du monde, et que tu entraves les Bédouins en prisonniers, je leur ferai voir Ta Majesté comme le chacal de la Vallée, le maître de la vitesse, celui qui court en parcourant les Deux-Terres.
Si je suis venu c’est pour te faire piétiner les nomades de Nubie, jusqu’au Shat, ils sont dans ta poigne, je leur ferai voir Ta Majesté comme tes Deux Frères, j’ai réuni leurs mains pour toi en (signe de) victoire. » Extrait de la célèbre stèle poétique de Toutmosis III gravée sur les paris du temple d’Amon à Karnak (Louxor en Égypte actuelle).
Ce pharaon Menkheperê Djehoutymesou dit Toutmosis III que l’égyptologue américain James Henry Breasted a surnommé le Napoléon de l’Antiquité, grand conquérant qui étendit les frontières de l’Égypte au-delà de l’Euphrate, mena durant son règne, plus de quinze campagnes militaires et soumis plus de 110 peuples et princes. Sa prise de Meggidio après six mois de siège est mémorable dans l’histoire militaire. Son général Djehouty est celui qui utilisa pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la ruse de guerre qui consiste à introduire chez l’ennemi des soldats cachés dans des paniers piégés. Ce fut lors de la prise de la ville de Jaffa, dans l’actuelle Syrie[26]. C’est la préfiguration du cheval de Troiè d’Odysseus. Cette ruse est reprise dans le conte des Mille et Une Nuits avec les fameuses jarres de l’histoire d’Ali Baba et les quarante voleurs. On peut également citer les gestes de Ramsès II, de Piankhy, l’épopée mandingue de Soundiata Keita ainsi que la chanson de Roland (Hroudland) lors des invasions sarrasines (mauresques). D’ailleurs le titre du Cid de Corneille (accusé de plagiat à propos du contenu) ne fait allusion qu’au roi de Saragosse au titre d’Al Ciidi (Le Maître en arabe). C’est du reste l’attaque des Maures (Africains) qui donnera l’occasion à Rodrigue de se racheter de l’homicide de son beau-père.
  • Les occurrences africaines dans l’Iliade et l’Odyssée
À côtés des innombrables peuples des îles de la mer Égée, de l’Asie Mineure, de toute la Méditerranée et de l’Afrique qui sont évoqués dans ces poèmes, aucune occurrence du mot grec n’est relevée ni dans l’Iliade ni dans l’Odyssée. On note tout au plus cinq occurrences de Hellas dans chacun des deux poèmes. En revanche, dans l’Odyssée, il y a vingt-quatre occurrences de l’Aigyptiè, quatre de l’Aithiopiè et une de Thèbè en Aigyptiè. Dans l’Iliade, on relève deux occurrences de l’Aithiopiè, une de l’Aigyptiè et une de Thèbes en Aigyptiè. Par ailleurs, signalons trois occurrences d’Abydos en rapport avec le camp des Troyens et de leurs alliés, de même que deux occurrences de la Libyè dans l’Odyssée. Abydos, de son nom égyptien Abdjou, est, selon Emile Amelineau, le lieu du tombeau d’Osiris situé en Haute Égypte. Une occurrence des pygmées existe dans une comparaison au chant IIe de l’Iliade. Pour les Grecs Antiques, il s’agissait de populations de petite taille vivant au sud de l’Égypte et donc distinctes des Négritos du Sud-Est asiatique. Depuis l’époque archaïque, la Grèce n’a jamais été une entité étatique unique. C’était des cités-États dirigées par des tyrans ou des monarques jusqu’au IVe s. avant JC lorsque le père d’Alexandre le Grand, Philippe II de Macédoine a mis fin à leur indépendance pour créer une entité unique. L’Égypte quant à elle, a été fondée par l’union des Deux Terres (Haute et Basse Égypte) sous la houlette du souverain venu du Sud, le Soudanais Ménès (Narmer) vingt-huit siècles plus tôt. Ce fut le fameux Sema Tawy.
  • Déposition d’Hérodote d’Halicarnasse (-450) concernant Hélènè, à l’origine de la guerre de Troie
Considéré de manière paradoxale comme le père de l’histoire d’après le Romain Cicéron, quoique issu d’un peuple qui n’a jamais tenu d’annales d’histoire jusqu’alors (la sienne propre ou celle de ses voisins comme à l’instar des Égyptiens) comme évoqué plus haut dans le Timée de Platon, Hérodote a donné sa version de l’histoire d’Hélènè à l’origine de la guerre de Troiè. Pour lui, Homère devait bien savoir ce qui a suivi l’enlèvement d’Hélènè tel que les prêtres l’ont raconté à Hérodote aussi 400 ans plus tard. Mais cette version ne convenant pas à son épopée, il a dû prendre des libertés par rapport au récit historique. C’est du moins ce que le prêtre memphite a fait remarquer à Pythagore comme nous l’avons vu plus haut. En effet, Hélènè la femme du roi de Sparte Ménélaos n’aurait jamais été à Troiè après que le fils du roi troyen Priamos, le prince Alexandros l’ait séduite de Sparte et l’ait convaincue de le suivre dans sa fuite. Des vents contraires ont emmené Alexandros et ses compagnons avec Hélènè à accoster dans le delta du Nil. Le pharaon de l’époque qu’Hérodote n’a pas su nommer, puisqu’il l’a désigné par son épithète de Protée a désapprouvé l’acte déloyal d’Alexandros. C’est au nom du droit d’asile qu’il a consenti à lui donner un ultimatum de 72 pour quitter l’Égypte en y abandonnant Hélènè et les richesses dérobées en attendant que Ménélaos ne vienne les récupérer lui-même. « Ayant questionné les prêtres au sujet d’Hélène, ils me répondirent qu’Alexandre, après l’avoir enlevée de Sparte, mit à la voile pour retourner dans sa patrie. Quand il fut parvenu dans la mer Égée, des vents contraires l’écartèrent de sa route, et le repoussèrent dans la mer d’Égypte. …Il y avait sur ce rivage un temple d’Hercule, qu’on y voit encore maintenant. Si quelque esclave s’y réfugie, et s’y fait marquer des stigmates sacrés, afin de se consacrer au dieu, il n’est pas permis de mettre la main sur lui. Cette loi continue à s’observer de la même manière depuis son institution jusqu’à présent (On peut dire que c’est l’origine du droit humanitaire des réfugiés). …. Il est arrivé ici un Teucrien qui a commis en Grèce un crime atroce. Non content d’avoir séduit la femme de son hôte, il l’a enlevée avec des richesses considérables. …. Si je ne pensais pas qu’il est de la plus grande conséquence de ne faire mourir aucun des étrangers que les vents forcent à relâcher sur mes terres, je vengerais par ton supplice l’insulte que tu as faite à Ménélas. Ce prince t’a donné l’hospitalité, et toi, le plus méchant de tous les hommes, tu n’as pas craint de commettre envers lui une action exécrable. Tu as séduit la femme de ton hôte, et, non content de cela, tu l’as engagée à te suivre, et tu l’emmènes furtivement ! Ce n’est pas tout, tu pilles encore, en t’en allant, la maison de ton hôte. Puis donc que je crois de la plus grande conséquence de ne point faire mourir un étranger, je te laisserai aller ; mais tu n’emmèneras point cette femme, et tu n’emporteras point ses richesses : je les garderai jusqu’à ce que ton hôte grec vienne lui-même les redemander. Pour toi, je t’ordonne de sortir dans trois jours de mes États, avec tes compagnons de voyage ; sinon tu seras traité en ennemi. »[27].
Un mot sur un texte, certes assez ancien, au vu des usages antiques rapportés et attestés, attribué à Hérodote sur la « Vie d’Homère ». C’est sujet à caution. Ce texte situe la naissance d’Homère à 168 ans après la prise de Troiè. C’est une aporie chronologique. La guerre de Troiè est du XIIIe s. avant JC et Hérodote dans son Histoire Liv II situe Homère à 400 ans avant lui soit vers -800. Or on estime l’Iliade et l’Odyssée entre le VIIe et le VIIIe s., cela donne un décalage de deux à trois siècles d’avec le texte sur la vie d’Homère attribué à Hérodote. Cet ensemble d’éléments jettent le doute sur les informations sur les origines éoliennes du poète, son nom de naissance Mélésigène, sa mère Crithéis et son père inconnu. Sa mère, prétend ce texte, aurait eu une relation secrète avec un homme, ce qui aurait même été un déshonneur pour la famille. Pour Tanneguy Le Fèvre, Hérodote n’est pas l’auteur de ce texte[28].
  • Les Suppliantes d’Eschyle (VIe – Ve s. avant JC)[29]
La légende telle que mise en œuvre par ce poète tragique oppose deux frères jumeaux Danaos et Egyptos. L’un régnant en Libye (Danaos) et l’autre en Égypte (Egyptos). Or selon la mythologie grecque, ces deux frères ne pouvaient être qu’Africains puisque Danaos est fils de Belos, roi africain et d’Anchinoé, fille de Nilos[30]. Homère dans ses poèmes qualifie les Akhaiens (Grecs) de Danaens, c’est-à-dire des descendants de Danaos. Selon Hérodote, Danaos est né à Chemmis (Kemmo selon les Égyptiens mêmes) en Haute Égypte[31].
Selon cette même mythologie grecque, l’anténoride Agènôr, (fils d’Antènôr selon la terminologie homérique), roi de Phénicie est le père de Cadmos. C’est ce dernier qui a apporté l’écriture aux Grecs (Hécatée de Milet lui l’attribue à Danaos, ce qui revient à la même origine africaine). Dans l’Iliade, Agènôr était dans le camp troyen. En dehors de ce divin Agènôr (sic), les autres fils d’Antènôr sont : Koôn l’aîné, le jeune Akamas semblable aux immortels et habile à tous les combats (sic), Arkhilokhos, Elikaôn, Laodokos, Polybos, Iphidamas, et Arkhelokos, tous des Phéniciens donc des Noirs. Du côté des Akhaiens, on dénombre de nombreux descendants de Cadmos qu’Homère appelle des Kadméiônes, des Noirs également. Dans les Suppliantes, Eschyle décrit les Danaïdes (filles de Danaos ancêtre des Danaens) comme des filles noircies par le soleil (Cf. Vers 154) et les fils d’Egyptos comme ayant des membres noirs (Cf. Vers 719) et constituant une armée noire (Cf. Vers 749).
  • Les peuples impliqués dans la guerre de Troiè
Beaucoup d’indices font soutenir que la florissante cité de Troiè sur les côtes orientales de la Méditerranée, objet de tant de convoitise, était l’œuvre d’Africains. Homère l’appelait la Sainte Ilion d’où l’Iliade. Pour la philosophe Simone Weil, « Toute la civilisation méditerranéenne qui précède immédiatement les temps historiques est issue de Cham »[32]. C’est le même avis qu’avait donné le mythographe britannique Jacob Bryant comme nous l’avons vu plus haut[33]. Cham est l’ancêtre de la race noire selon la table des races du livre de Genèse dans la Bible[34]. Si nous admettons avec Simone Weil et Jacob Bryant l’appartenance des Troyens à la race de Cham, on peut supposer que la guerre de Troiè correspond aux débuts des invasions doriennes qui allaient détruire la piété dans les Cyclades et en Asie Mineure. Aux côtés des Troyens, dans la même région, il y avait des alliés tels les Phrygiens, les Mysiens, les Kariens, les Lykiens, les Paphlagones, les Pélasges… Un mot sur les Pélasges qui, comme souvent lorsqu’il s’agit de la descendance de Cham, passent pour une race aux origines absconses. Pour Simone Weil (Cf. plus haut), ils sont issus de Cham. Dans la légende des Danaïdes, c’est Pélasgos, roi mythique d’Argos qui les avait accueillies. Homère évoque l’Argos pélasgique. Les peuples primitifs d’Athènes se disent issus d’une colonie égyptienne conduite par Cécrops[35]. Socrate dit qu’il est le fils de Phénarète, la maïeuticienne Pélasge[36]. Il y avait des alliés des Troyens qu’Homère a appelés des Pélasgiques. « Et les tribus Pélasgiques habiles à lancer la pique, et ceux qui habitaient Larissa aux plaines fertiles, étaient commandés par Hippothoos et Pyleus, nourrissons d’Arès, fils du Pélasge Lèthos Teutamide. »[37]. Martin Bernal dans son ouvrage monumental Black Athena, rapproche la localité de Larissa évoquée par Homère à propos des tribus pélasgiques de la ville de Avaris dans le delta du Nil[38]. Lorsque Dolôn l’espion troyen est envoyé en mission auprès des nefs ennemies et qu’il a été fait prisonnier, voici ce qu’il déclare lorsqu’Odysseus l’interroge : « Je te dirai toute la vérité. Auprès de la mer sont les Kariens, les Paiones aux arcs recourbés, les Léléges, les Kaukônes et les divins Pélasges ; du côté de Thymbrè sont les Lykiens, les Mysiens orgueilleux, les cavaliers Phrygiens et les Maiones qui combattent sur des chars »[39]. Lorsque le Ménoitiade Patroklos, compagnon du Péléide Akhilleus fut tué par le divin Hektor, c’est un allié Pélasge qui s’était emparé du cadavre avant d’être tué à son tour dans la mêlée : « Et Hippothoos, fils du Pélasge Lèthos, ayant lié le tendon par une courroie, traînait Patroklos par un pied dans la mêlée, afin de plaire à Hektôr et aux Troiens… »[40]. Les deux extraits suivants illustrent l’origine africaine des Pélasges de même que des Paiones : « Et la fille de Zeus possédait cette liqueur excellente que lui avait donnée Polydamna, femme de Thôs, en Aigyptiè, terre fertile qui produit beaucoup de baumes, les uns salutaires et les autres mortels. Là tous les médecins sont les plus habiles d’entre les hommes, et ils sont de la race de Paièôn. »[41]. C’est quoi un Paione ? Voici ce que dit le guerrier allié troyen Astéropaïas qui se déclare lui-même comme un Paione lorsque Akhilleus l’interrogea sur ses origines avant le combat qui devait le faire partir dans la demeure d’Aidès (la mort) : « Magnanime Pèléide (Akhilleus, fils de Péleus), pourquoi demander quelle est ma race ? Je viens de la Paioniè fertile et lointaine, et je commande les Paiones aux longues lances. Il y a onze jours que je suis arrivé dans Ilios (Troiè). Je descends du large fleuve Axios (le Nil ?) qui répand ses eaux limpides sur la terre, et qui engendra l’illustre Pèlégôn ; et on dit que Pèlégôn est mon père. »[42]. Le plus vieil oracle antique grec, celui de Dodone est appelé pélasgique[43] lorsque Akhilleus adressa une prière à Zeus pour lui recommander son compagnon Patroklos qui devait affronter le grand Hektôr mais il ne fut pas exaucé puisqu’Hektôr devait tuer Patroklos. L’identité d’origine entre cet oracle de Dodone et celui de Thèbes en Égypte est attestée dans la déposition d’Hérodote qui ajoute au sujet de la métaphore de la colombe noire qui l’aurait apporté en Grèce qu’il s’agit d’une femme égyptienne[44]     
C’est sur cette même côte d’Asie Mineure que se trouvaient les fameux Colchidiens, de race noire qu’Hérodote a rapprochés des Égyptiens anciens par leur peau noire, leurs cheveux crépus et leurs coutumes notamment la circoncision[45]. Ces Colchidiens seraient selon Hérodote une partie des troupes du Pharaon Sésostris (III ?) (XIIe dynastie environ -1850) qui a mené des campagnes militaires jusqu’au sud de la Russie actuelle. Les alliés troyens venus de loin sont notamment les Phéniciens, les Éthiopiens dirigés par le beau Memnon assimilé au pharaon Amenophis III en raison des colosses dits de Memnon devant son temple en Haute Égypte.
La guerre de Troiè constitue une destruction de la civilisation selon Simone Weil.
  1. Les cérémonies religieuses dans l’œuvre d’Homère ayant encore cours actuellement en Afrique dans les segments non chrétien et non musulman de la spiritualité
À ma connaissance, au moins deux auteurs africains ont déjà abordé le sujet. Il s’agit du père jésuite camerounais Engelbert Mveng[46] et de l’écrivain béninois Olympe Bhêly Quenum, fils d’une prêtresse vodou, dans son essai comparatiste sur les Traces du vodou chez Homère.
  • Le prêtre Sem à la peau de léopard
« …le divin Alexandros apparut en tête des Troiens, ayant une peau de léopard sur les épaules, et l’arc recourbé et l’épée. »[47].
« Et voici que la même terreur envahissait Ménélaos…Et il couvrit son large dos de la peau tachetée d’un léopard, … »[48]. De même qu’on ne s’explique pas le symbole du lion dans la royauté européenne, de même aussi, le léopard, animal étranger au continent européen même dans l’antiquité est un symbole de la prêtrise et de la royauté de l’antiquité africaine et qui perdure encore de nos jours en Afrique.
  • La manière d’égorger les animaux sacrificiels en les laissant palpiter par terre
C’est encore pratiqué en Afrique de nos jours. Après la prière à la divinité à qui le sacrifice est consacré, l’officiant bénit l’animal (généralement une volaille ou un ovin), lui donne de l’eau à boire, lui présente ses excuses avant de lui trancher la gorge. Le sang purificateur se répand pendant que l’animal est relâché, palpitant jusqu’à ce que la vie l’abandonne. On en trouve une scène dans l’Iliade Chant IIIe, lorsque l’officiant Agamemnon priait pour le pacte que devaient sceller Alexandros et Ménélaos pour le respect de l’issue du duel qui aurait pu écourter le siège de Troiè : « Il parla ainsi, et, de l’airain cruel, il trancha la gorge des agneaux et il les jeta palpitants sur la terre et rendant l’âme, car l’airain leur avait enlevé la vie. »[49]. Le sacrifice est toujours accompagné d’un partage cérémoniel du repas comme l’atteste l’expression récurrente « …nul ne fut privé d’une égale part du repas ». ou « … et nul ne se plaignit, dans son âme, de l’inégalité des parts.
Les occurrences de sacrifices de taureaux (entièrement noirs), de génisses d’un an ou indomptées, de vaches, de brebis, de chèvres, de saintes hécatombes ainsi que des libations sont légions pour s’attirer les faveurs des Dieux. De toute l’antiquité jusqu’à ce jour, seuls les peuples d’Afrique sont réputés pour une aussi profonde piété et une dévotion sans pareil comme nous l’avons souligné en introduction. Malgré le christianisme et l’islam, les sacrifices d’animaux sont encore monnaie courante en Afrique.

 

  • Les libations sacrées
Aux dieux invoqués comme aux âmes des morts dont Birago Diop réaffirme qu’ils ne sont pas morts (l’immortalité de l’âme étant une notion atavique à l’esprit de l’homme africain comme nous le verrons au paragraphe 6), pour les honorer ou pour solliciter leur aide, de même que cela se pratique encore de nos jours en Afrique, de même aussi près de soixante fois des libations ont été réalisées dans l’Iliade et l’Odyssée. Et généralement, lorsqu’il s’agit de Zeus, le « père des dieux et des hommes » selon Homère, de même que les Ewe par exemple invoquent l’Indépassable Trois Fois Grand, nul n’ose boire le breuvage sacrificiel (vin doux, vin noir, vin de palme, eau…) avant que des libations soient rendues. Aucune cérémonie sacrée en Afrique ne peut être bien accomplie sans une libation. Même pour dire à son semblable des mots de bienvenue, une libation d’eau, symbolise la paix comme signifierait le nom d’Imhotep de Memphis : celui qui vient en paix.
  1. La délibération dans l’agora
Exercice encore en cours dans les milieux coutumiers en Afrique, c’est ce que l’ethnographie coloniale a appelé « la palabre ». C’est la source même du débat public avant toute décision concernant la société. Régulièrement le chef de village convoque à l’agora qui siège au milieu de la cité. Dans l’Iliade, son occurrence est de 53 fois et 40 fois dans l’Odyssée. De même qu’on dénombre des Pélasges dans les deux camps, de même également, la réunion dans l’agora se fait chez les Akhaiens tout comme les Troiens.
  1. La sacralisation de l’hospitalité
Pour l’Africain authentique, autrui n’est pas un être étrange au point de lui être étranger au sens étymologique. C’est au contraire un être désiré dans sa demeure par son altérité, sa différence justement. Le poète africain d’expression latine Térence de Carthage a écrit au deuxième siècle de notre ère : « Je suis un homme ; je considère que rien de ce qui est humain ne m’est étranger »[50]. Les expressions Zeus hospitalier, être hospitalier, demeures hospitalières, mets hospitaliers, nourriture hospitalière, exercer l’hospitalité, offrir des présents hospitaliers, table hospitalière, être donneur d’hospitalité…sont récurrentes dans l’Iliade et l’Odyssée.
  1. Phénomènes surnaturels et mystérieux
Selon Hérodote d’Halicarnasse, presque tous les dieux grecs sont empruntés aux Égyptiens[51]. On peut citer dans l’Iliade et l’Odyssée :
Aphroditè = Hathor, déesse de l’amour et de la musique, femme d’Horus
Apollôn = Horus, fils d’Osiris et Isis
Asklèpios médecin = Imhotep de Memphis divinisé
Athénée = Neïth, déesse de la famille démiurgique saïte
Dèmètèr = Isis
Dionysos = Osiris
Héphaïstos = Ptah, le Dieu memphite, patron des artisans
Hermès = Djehuty
Typhôeus = Seth
Zeus = Amon.
Dans le chant IIe de l’Iliade, il y a eu un phénomène surnaturel. Il s’agit d’un dragon au dos ensanglanté apparu aux Akhaiens, sortant de dessous l’autel où ils faisaient leur cérémonie et dévorant huit passereaux et leur mère. Le divinateur Kalkhas en a donné l’explication consistant aux neuf années que devaient endurer les Akhaiens lors du siège de Troiè avant de la renverser la dixième. Dans le chant XIIe de l’Iliade, un augure de l’échec de la tentative de destruction des nefs akhaiennes par le feu a été donné par le dragon qui s’est débattu dans les serres de l’aigle obligé de lâcher sa proie. Dans le même chant, lors de l’attaque des positions ennemies, Apollôn a fait défier les lois de la pesanteur au grand Hektôr : « Et Hektôr portait une pierre énorme, lourde, pointue, qui gisait devant les portes, telle que deux très robustes hommes de nos jours n’en pourraient soulever la pareille de terre, sur leur chariot. Mais, seul, il l’agitait facilement, car le fils du subtil Kronos la lui rendait légère. ». On relève également les phénomènes de métamorphoses magiques, les dieux prenant des formes humaines pour tromper les guerriers, les dieux enlevant les guerriers de la mêlée, les blessures qui se ferment miraculeusement. Au chant XVIe de l’Iliade, quand Glaukos, l’arrière-arrière-petit-fils de Sisyphos a été touché par une flèche décochée par Teukros, le dieu Apollôn le guérit instantanément après qu’il lui eût adressé une prière. À propos des rites funéraires, il est à parier que la touche des peuples envahisseurs a été celle privilégiée par Homère. Le bûcher puis l’incinération font partie des mœurs des nomades Indo-européens alors que les descendants sédentarisés de Cham pratiquaient la momification et l’enterrement. L’idée que, non pleuré, et les rites funéraires non convenablement accomplis, le mort ne trouvera pas son repos éternel dans l’au-delà est encore vivace en Afrique. C’est le cas d’un des compagnons d’Odysseus, Elpènôr, mort d’une chute d’une échelle chez Kirkè et pour qui ils n’ont pas eu le temps d’accomplir les rites nécessaires avec des pleurs. Les dieux immortels, la notion même de l’immortalité provient d’Afrique et il ne pouvait pas en être autrement tant cette race est la première à apprendre à l’humanité comment rendre un culte divin comme nous l’avons vu en introduction : « Cérès (Isis) et Bacchus (Osiris) ont, selon les Égyptiens, la puissance souveraine dans les enfers. Ces peuples sont aussi les premiers qui aient avancé que l’âme de l’homme est immortelle… »[52]. Aux chants X et XI de l’Odyssée, le voyage d’Odysseus dans le monde souterrain chez les morts effectué sur les indications de la déesse Kirkè afin de consulter l’âme du divinateur thébain Teirésias mérite qu’on s’y attarde un peu. Le rituel consistant à convier l’âme des morts avec des libations en répandant des breuvages, de l’eau et de la farine blanche, on se croirait en Afrique actuelle. « Divin Laertiade (Odysseus), … il faut accomplir un autre voyage et entrer dans la demeure d’Aidès (maître du pays des morts) et de l’implacable Perséphonéia (épouse d’Aidès), afin de consulter l’âme du Thébain Teirésias, du divinateur aveugle, dont l’esprit est toujours vivant…Ô Kirkè (Circée), qui me montrera le chemin ? Personne n’est jamais arrivé chez Aidès sur une nef noire. Je parlai ainsi, et la noble déesse me répondit aussitôt : … Il y a une roche au confluent des deux fleuves retentissants. Tu t’en approcheras, héros, comme je te l’ordonne, et tu creuseras là une fosse d’une coudée dans tous les sens, et, sur elle, tu feras des libations à tous les morts, de lait mielleux d’abord, puis de vin doux, puis enfin d’eau, et tu répandras par-dessus de la farine blanche. Prie alors les têtes vaines des morts et promets, dès que tu seras rentré dans Ithakè, de sacrifier dans tes demeures la meilleure vache stérile que tu posséderas, d’allumer un bûcher formé de choses précieuses, et de sacrifier, à part, au seul Teirésias un bélier entièrement noir, le plus beau de tes troupeaux. Puis, ayant prié les illustres âmes des morts, sacrifie un mâle et une brebis noire, tourne-toi vers l’Érébos (divinité personnifiant les ténèbres), et, te penchant, regarde dans le cours du fleuve, et les innombrables âmes des morts qui ne sont plus accourront. Alors, ordonne et commande à tes compagnons d’écorcher les animaux égorgés par l’airain aigu, de les brûler et de les vouer aux dieux, à l’illustre Aidés et à l’implacable Perséphonéia. Tire ton épée aiguë de sa gaine, le long de ta cuisse, et ne permets pas aux ombres vaines des morts de boire le sang, avant que tu aies entendu Teirésias. Aussitôt le divinateur arrivera, ô chef des peuples, et il te montrera ta route… Mais je n’emmenai point tous mes compagnons sains et saufs. Elpènôr, un d’eux, …tomba du haut du toit, et son cou fut rompu, et son âme descendit chez Aidés. … (Arrivé au lieu indiqué par la déesse Circée, Odysseus accomplit les rituels scrupuleusement) Et les âmes des morts qui ne sont plus sortaient en foule de l’Érébos. Les nouvelles épouses, les jeunes hommes, les vieillards qui ont subi beaucoup de maux, les tendres vierges ayant un deuil dans l’âme, et les guerriers aux armes sanglantes, blessés par les lances d’airain, tous s’amassaient de toutes parts sur les bords de la fosse, avec un frémissement immense. Et la terreur pâle me saisit. Alors j’ordonnai à mes compagnons d’écorcher les victimes qui gisaient égorgées par l’airain cruel, de les brûler et de les vouer aux dieux, à l’illustre Aidès et à l’implacable Perséphonéia. Et je m’assis, tenant l’épée aiguë tirée de sa gaine, le long de ma cuisse ; et je ne permettais pas aux têtes vaines des morts de boire le sang, avant que j’eusse entendu Teirésias. La première, vint l’âme de mon compagnon Elpènôr. Et il n’avait point été enseveli dans la vaste terre, et nous avions laissé son cadavre dans les demeures de Kirkè, non pleuré et non enseveli, car un autre souci nous pressait. Et je pleurai en le voyant, et je fus plein de pitié dans le cœur. Et je lui dis ces paroles ailées : Elpènôr, comment es-tu venu dans les épaisses ténèbres ? Comment as-tu marché plus vite que moi sur ma nef noire ? Je parlai ainsi, et il me répondit en pleurant : Divin Laertiade, subtil Odysseus, la mauvaise volonté d’un daimôn (mauvais sort) et l’abondance du vin m’ont perdu. Dormant sur la demeure de Kirkè, je ne songeai pas à descendre par la longue échelle, et je tombai du haut du toit, et mon cou fut rompu, et je descendis chez Aidès. … Là, ô roi, je te demande de te souvenir de moi, et de ne point partir, me laissant non pleuré et non enseveli, de peur que je ne te cause la colère des dieux ; mais de me brûler avec toutes mes armes. Élève sur le bord de la mer écumeuse le tombeau de ton compagnon malheureux. Accomplis ces choses, afin qu’on se souvienne de moi dans l’avenir, et plante sur mon tombeau l’aviron dont je me servais quand j’étais avec mes compagnons. Il parla ainsi, et, lui répondant, je dis : Malheureux, j’accomplirai toutes ces choses. Nous nous parlions ainsi tristement, et je tenais mon épée au-dessus du sang, tandis que, de l’autre côté de la fosse, mon compagnon parlait longuement. Puis, arriva l’âme de ma mère morte, d’Antikléia, fille du magnanime Autolykos, que j’avais laissée vivante en partant pour la sainte Ilios (Troiè). Et je pleurai en la voyant, le cœur plein de pitié ; mais, malgré ma tristesse, je ne lui permis pas de boire le sang avant que j’eusse entendu Teirésias. Et l’âme du Thébain Teirésias arriva, tenant un sceptre d’or, et elle me reconnut et me dit : Pourquoi, ô malheureux, ayant quitté la lumière de Hèlios (soleil), es-tu venu pour voir les morts et leur pays lamentable ? Mais recule de la fosse, écarte ton épée, afin que je boive le sang, et je te dirai la vérité. Il parla ainsi, et, me reculant, je remis dans la gaine mon épée aux clous d’argent. Et il but le sang noir, et, alors, l’irréprochable divinateur me dit : Tu désires un retour très facile, illustre Odysseus, mais un dieu te le rendra difficile ; car je ne pense pas que celui qui entoure la terre apaise sa colère dans son cœur, et il est irrité parce que tu as aveuglé son fils. Vous arriverez cependant, après avoir beaucoup souffert, si tu veux contenir ton esprit et celui de tes compagnons. En ce temps, quand ta nef solide aura abordé l’île Thrinakiè, où vous échapperez à la sombre mer, vous trouverez là, paissant, les bœufs et les gras troupeaux de Hèlios qui voit et entend tout. Si vous les laissez sains et saufs, si tu te souviens de ton retour, vous parviendrez tous dans Ithakè, après avoir beaucoup souffert ; mais, si tu les blesses, je te prédis la perte de ta nef et de tes compagnons. Tu échapperas seul, et tu reviendras misérablement, ayant perdu ta nef et tes compagnons, sur une nef étrangère. Et tu trouveras le malheur dans ta demeure et des hommes orgueilleux qui consumeront tes richesses, recherchant ta femme et lui offrant des présents. Mais, certes, tu te vengeras de leurs outrages en arrivant. Et, après que tu auras tué les prétendants dans ta demeure, soit par ruse, soit ouvertement avec l’airain aigu, tu partiras de nouveau, et tu iras, portant un aviron léger, jusqu’à ce que tu rencontres des hommes qui ne connaissent point la mer et qui ne salent point ce qu’ils mangent, et qui ignorent les nefs aux proues rouges et les avirons qui sont les ailes des nefs. Et je te dirai un signe manifeste qui ne t’échappera pas. Quand tu rencontreras un autre voyageur qui croira voir un fléau sur ta brillante épaule, alors, plante l’aviron en terre et fais de saintes offrandes au roi Poseidaôn (maître de la mer), un bélier, un taureau et un verrat. Et tu retourneras dans ta demeure, et tu feras, selon leur rang, de saintes hécatombes à tous les dieux immortels qui habitent le large Ouranos (la voûte céleste). Et la douce mort te viendra de la mer et te tuera consumé d’une heureuse vieillesse, tandis qu’autour de toi les peuples seront heureux. Et je t’ai dit, certes, des choses vraies. Il parla ainsi, et je lui répondis : Teirésias, les dieux eux-mêmes, sans doute, ont résolu ces choses. Mais dis-moi la vérité. Je vois l’âme de ma mère qui est morte. Elle se tait et reste loin du sang, et elle n’ose ni regarder son fils, ni lui parler. Dis-moi, ô roi, comment elle me reconnaîtra. Je parlai ainsi, et il me répondit : Je t’expliquerai ceci aisément. Garde mes paroles dans ton esprit. Tous ceux des morts qui ne sont plus, à qui tu laisseras boire le sang, te diront des choses vraies ; celui à qui tu refuseras cela s’éloignera de toi. Ayant ainsi parlé, l’âme du roi Teirésias, après avoir rendu ses oracles, rentra dans la demeure d’Aidès ; mais je restai sans bouger jusqu’à ce que ma mère fût venue et eût bu le sang noir. Et aussitôt elle me reconnut, et elle me dit, en gémissant, ces paroles ailées : Mon fils, comment es-tu venu sous le noir brouillard, vivant que tu es ? Il est difficile aux vivants de voir ces choses. Il y a entre celles-ci et eux de grands fleuves et des courants violents, Okéanos (la mer) d’abord qu’on ne peut traverser, à moins d’avoir une nef bien construite. Si, maintenant, longtemps errant en revenant de Troiè, tu es venu ici sur ta nef et avec tes compagnons, tu n’as donc point revu Ithakè, ni ta demeure, ni ta femme ? Elle parla ainsi, et je lui répondis : Ma mère, la nécessité m’a poussé vers les demeures d’Aidès, afin de demander un oracle à l’âme du Thébain Teirésias. Je n’ai point en effet abordé ni l’Akhaiè, ni notre terre ; mais j’ai toujours erré, plein de misères, depuis le jour où j’ai suivi le divin Agamemnôn à Ilios qui nourrit d’excellents chevaux, afin d’y combattre les Troiens. Mais dis-moi la vérité. Comment la Kèr (sœur de Thanatos, divinité de la mort) de la cruelle mort t’a-t-elle domptée ? Est-ce par une maladie ? Ou bien Artémis qui se réjouit de ses flèches t’a-t-elle atteinte de ses doux traits ? Parle-moi de mon père et de mon fils. Mes biens sont-ils encore entre leurs mains, ou quelque autre parmi les hommes les possède-t-il ? Tous, certes, pensent que je ne reviendrai plus. Dis-moi aussi les desseins et les pensées de ma femme que j’ai épousée. Reste-t-elle avec son enfant ? Garde-t-elle toutes mes richesses intactes ? ou déjà, l’un des premiers Akhaiens l’a-t-il emmenée ? Je parlai ainsi, et, aussitôt, ma mère vénérable me répondit : Elle reste toujours dans tes demeures, le cœur affligé, pleurant, et consumant ses jours et ses nuits dans le chagrin. Et nul autre ne possède ton beau domaine …Pour moi, je suis morte, et j’ai subi la destinée ; mais Artémis habile à lancer des flèches ne m’a point tuée de ses doux traits dans ma demeure, et la maladie ne m’a point saisie, elle qui enlève l’âme du corps affreusement flétri ; mais le regret, le chagrin de ton absence, illustre Odysseus, et le souvenir de ta bonté, m’ont privée de la douce vie. Elle parla ainsi, et je voulus, agité dans mon esprit, embrasser l’âme de ma mère morte. Et je m’élançai trois fois, et mon cœur me poussait à l’embrasser, et trois fois elle se dissipa comme une ombre, semblable à un songe. Et une vive douleur s’accrut dans mon cœur, et je lui dis ces paroles ailées : Ma mère, pourquoi ne m’attends-tu pas quand je désire t’embrasser ? Même chez Aidès, nous entourant de nos chers bras, nous nous serions rassasiés de deuil ! N’es-tu qu’une image que l’illustre Perséphonéia suscite afin que je gémisse davantage ? Je parlai ainsi, et ma mère vénérable me répondit : Hélas ! mon enfant, le plus malheureux de tous les hommes, Perséphonéia, fille de Zeus, ne se joue point de toi ; mais telle est la loi des mortels quand ils sont morts. En effet, les nerfs ne soutiennent plus les chairs et les os, et la force du feu ardent les consume aussitôt que la vie abandonne les os blancs, et l’âme vole comme un songe. Mais retourne promptement à la lumière des vivants, et souviens-toi de toutes ces choses, afin de les redire à Pènélopéia… ». Puis Odysseus raconte tous les morts qu’il y a vus et pas des moindres.
Et puis, il y a cette belle expression nostalgique qui a sa traduction littérale en ewegbe : « … rien n’est plus doux que la patrie et les parents pour celui qui, loin des siens, habite même une riche demeure dans une terre étrangère. » (Odyssée Chant IXe).
  1. Conclusion
Elle s’impose d’elle-même à la lumière de tout ce qui précède. Il faut rendre à l’Afrique son héritage volé[53] concernant la question homérique comme d’autres. Le dernier mot revient à l’historien français Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais comte Volney, dit Volney : « Quel sujet de méditation, … de penser que cette race d’hommes noirs, aujourd’hui notre esclave et l’objet de nos mépris, est celle-là même à qui nous devons nos arts, nos sciences, et jusqu’à l’usage de la parole… »[54]. …et jusqu’à l’usage de la parole, oui c’est bien ce que Volney s’est senti obligé d’écrire. L’épigraphe en début de cet article conforte cette confession, de même que cette citation de Lisle de Sales au sujet d’Homère : « C’était un génie rare cependant que ce poète, si longtemps méconnu, dont les ouvrages donnèrent peut-être à Lycurgue, à Solon et à Pisistrate (législateurs), l’idée de leurs lois, échauffèrent la verve dramatique d’Eschyle et de Sophocle (dramaturges), vivifièrent l’éloquence de Démosthène (un des plus grands orateurs), et apprirent à Phidias (sculpteur) l’espèce de beauté idéale que son ciseau devait donner à Jupiter : il fut un temps où ses vers exerçaient dans la Grèce une sorte de toute-puissance. On peut en juger par le procès mémorable, entre Athènes et Mégare, sur la souveraineté de Salamine. La cause fut plaidée solennellement devant Sparte, et le jugement qui intervint eut pour base principale, deux vers de l’Iliade »[55]. (Évoqués par Solon « Et Aias avait amené douze nefs de Salamis, et il les avait placées auprès des Athènaiens », Iliade Chant IIe, 558).
RÉFÉRENCES:
[1] Thomas Römer, Ce que la Bible doit à l’Égypte, Ouvrage collectif, Éd Bayard 2009
[2] Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Liv III, 2
[3] Homère, L’Odyssée, Chant XIe
[4] Apulée de Madaure (IIe s. après JC), L’âne d’Or ou Les Métamorphoses, Éd Gallimard 1995, pg Chap XI, 5, Pg 262-263
[5] La Bible, Livre de Sophonie, Chap. III, verset 10
[6] Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Liv III, 3
[7] Ernest Falconnet, Notice sur la Vie et les œuvres d’Homère
[8] L’abbé d’Aubignac, Conjectures académiques ou dissertation sur l’Iliade – milieu XVIIe s
[9] Hérodote d’Halicarnasse, Histoires, Livre II, 53
[10] Fiche de la Bibliothèque Nationale de France « Un texte vieux de 3000 ans »
[11] Platon d’Athènes, Dialogues, Gorgias
[12] Héliodore, L’histoire Aethiopique IIIe s. après JC
[13] Jean-Baptiste Le Chevalier, Voyage dans la Troade, 3e Éd, 1802
[14] Étienne Aignan, Discours préliminaire du Tome I de la traduction de l’Iliade en vers français, 1809
[15] Hérodote d’Halicarnasse, Histoire, Livre II, 41
[16] Jacob Bryant, A Dissertation concerning the War of Troy, and the Expedition of the Grecians, as described by Homer, with the view of showing that no such expedition was ever undertaken, and that no such city as Phrygia existed, 1796
[17] Jean-Baptiste Le Chevalier, Voyage dans la Troade, 3e Éd, 1802
[18] Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales, Histoire d’Homère et d’Orphée, 1808
[19] Simone Weil, Attente de Dieu, Éd Fayard 1966, pg 230
[20] Platon d’Athènes, Dialogues, Timée
[21] Pierre-Sylvain Maréchal, Voyages de Pythagore en Égypte, dans la Chaldée, dans l’Inde, en Crète, à Sparte, en Sicile, à Rome, à Carthage, à Marseille et dans les Gaules, suivis de ses lois politiques et morales, Tome II, 1798
[22] Ptolémée Chennos, Nouvelle Histoire, livre V, in Photius, Bibliothèque, codex 190
[23] Eustathe de Thessalonique, Commentaire à l’Odyssée, 1379
[24] https://www.brooklynmuseum.org/eascfa/dinner_party/heritage_floor/phantasia
[25] Nicolas Grimal, Histoire de l’Égypte Ancienne, Éd Fayard, 1988
[26] Madeleine Della Monica, Thoutmosis III, le plus grand des pharaons : Son époque, sa vie, sa tombe, Éd Le Léopard d’or 1991
[27] Hérodote d’Halicarnasse, Histoire, Livre II, 113-115
[28] Tanneguy Le Fèvre – Les vies des Poètes Grecs, 1665, pg 15.
[29] Eschyle d’Éleusis, Les Suppliantes, Tragédie grecque
[30] Pseudo-Apollodore (anciennement Apollodore), Bibliothèque IIe s. av JC
[31] Hérodote d’Halicarnasse, Histoire Livre II, 41
[32] Simone Weil, Attente de Dieu (1942), Éd Fayard 1966, Éd numérique 2007 pg 161
[33] Jacob Bryant, A new system; or an analysis of ancient mythology IIIrd Ed, Vol I, 1807
[34] La Bible, Genèse: Chap. X, V6
[35] Louis de Jaucourt, L’Encyclopédie, 1re Éd, Tome 15, 1751, pg 80-81
[36] Platon d’Athènes, Dialogues, Théétète
[37] Homère, l’Iliade, Chant IIe
[38] Martin Bernal, Black Athena, traduction française, PUF, 1996, pg 100-101
[39] Homère, l’Iliade Chant Xe
[40] Homère l’Iliade Chant XVIIe
[41] Homère, L’Odyssée Chant IVe
[42] Homère, L’Iliade Chant XXIe
[43] Homère, L’Iliade Chant XVIe
[44] Hérodote d’Halicarnasse, Histoire, Livre II, 52-58
[45] Hérodote d’Halicarnasse, Histoire, Livre II, 104
[46] Engelbert Mveng, Les sources grecques de l’histoire négro-africaine depuis Homère jusqu’à Strabon, Éd Présence Africaine, 1972
[47] Homère, l’Iliade Chant IIIe
[48] Homère, Iliade Chant Xe
[49] Homère, Iliade Chant IIIe
[50] Térence de Carthage, Heautontimoroumenos, IIe s. après JC
[51] Hérodote d’Halicarnasse, Histoire, Livre II, 50
[52] Hérodote d’Halicarnasse, Histoire Livre II 123
[53] George G. M. James (Université d’Arkansas), Stolen Lagacy, 1954
[54] Volney, Voyages en Égypte et en Syrie, 1787, Tome I, 2e Éd pg 76-77
[55] Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales, Histoire d’Homère et d’Orphée, 1808, pg 8-9.

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